HÉSIODE (VIIIe-VIIe s. av. J.-C.)
Crise agraire et attitude religieuse
À toutes ces questions, il faut répondre « non ». Hésiode n'est pas un réformateur de la société ; il ne cherche pas à transformer les rapports sociaux ; nulle part, il ne fait la moindre allusion au partage des terres non plus qu'à l'annulation des dettes et des redevances. Quand il s'adresse aux paysans, Hésiode leur parle comme dans la Théogonie : en homme inspiré par les dieux, en poète à qui les dieux ont fait connaître l'ordre des travaux et la qualité des jours. Pour Hésiode, ce que, dans notre vocabulaire, nous appelons une « crise agraire » prend la forme d'un esprit de perdition, l'Hubris (ϒ̔́ϐρις), qui gangrène la vie quotidienne. Entre le monde des dieux où siège la justice et le monde des hommes livré à la démesure et au surdroit, la distance grandit jusqu'à paraître insurmontable. Comment résoudre la crise religieuse ouverte par le malaise social ? Comment combler la distance entre les hommes et les dieux ? C'est en ces termes qu'Hésiode formule et résout le problème. Pour contenir l'injustice, pour rétablir la communication entre les hommes et les dieux, il n'y a qu'un seul moyen : le travail de la terre. Les travaux des champs représentent en effet pour Hésiode un type de comportement religieux, qui est, au sens propre, un véritable culte des puissances divines. C'est à définir point par point les différents aspects de ce comportement du paysan qu'Hésiode consacre la plus longue partie de son poème, décrivant les travaux saisonniers que les dieux ont réservés aux hommes, énumérant avec minutie les tabous et les interdictions que le laboureur doit respecter pour être agréable à Zeus, fixant dans le calendrier chacune des tâches imparties au paysan. Replié sur sa terre, le laboureur devra exécuter, dans un esprit de ritualisme minutieux, sans commettre aucune faute d'oubli, les divers travaux inspirés par les dieux.
Pour comprendre comment Hésiode peut répondre à une « crise agraire » par une attitude religieuse, il suffit de voir que l'agriculture ne représente pas encore pour les Grecs une activité d'ordre économique, non plus qu'un métier ou un type de travail spécifique. À l'âge d'Hésiode, les relations du paysan avec sa terre forment une série d'expériences – techniques, éthiques, rituelles –, qui sont vécues sous la forme globale d'une expérience de type religieux. Dans une société archaïque comme la Grèce d'Hésiode, une crise agraire ne peut être qu'une crise religieuse.
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Écrit par
- Marcel DETIENNE : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
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