HÊTRAIES
Peu de forêts décidues égalent, dans le monde, la splendeur des hêtraies normandes, dont les fûts gris et lisses portent d'un seul jet, à plus de trente mètres du sol, un feuillage dense, d'où tombent, à la belle saison, quelques rayons parcimonieux, et que l'automne pare de ses plus somptueuses couleurs. Peu d'arbres des pays européens, en revanche, peuvent avoir un port aussi insolite que le hêtre, écrasé par la neige et le vent sur les crêtes de haute Provence ou abrouti par les troupeaux. À cette grande plasticité phénotypique correspond cependant une répartition mondiale assez limitée des hêtraies, même si on leur adjoint les forêts de hêtre austral (Nothofagus). L'étude paléobotanique démontre cependant que les hêtraies ont eu, à plusieurs reprises et à une époque récente, une extension bien plus considérable qu'aujourd'hui. Leur répartition actuelle, qui n'enlève rien à l'importance économique croissante de la hêtraie, dénote de strictes exigences écologiques.
La hêtraie apparaît comme un test du climat, sa croissance et sa productivité comme un test du sol, l'aspect de ces arbres comme un test des influences biotiques qu'elle a subies. À l'extrême, ces influences peuvent effacer le hêtre, mais quelques fidèles compagnes herbacées sont d'irrécusables témoins de sa destruction et la preuve certaine que la hêtraie, là où elles croissent, peut renaître.
Hêtres et hêtraies dans le monde : le climat des hêtraies
Les hêtres, genres Fagus de l'hémisphère Nord et Nothofagus de l'hémisphère Sud, font partie de l'ordre des Fagales. Ils se répartissent en cinq groupes correspondant à des conditions climatiques relativement homogènes et strictes : étés humides, hivers neigeux, températures fraîches mais modérées, avec toutefois une tolérance de certaines espèces pour les climats plus chauds.
Strictement européen, le hêtre commun (Fagus silvatica) est celui qui occupe l'aire la plus étendue ; arbre social, il tend à former spontanément des peuplements purs, notamment dans la partie moyenne de l'Europe occidentale ; ses futaies atteignent, à 150 ans, 40 m de hauteur au nord et à l'ouest de Paris, région où le hêtre paraît présenter son développement optimal ; c'est aussi l'arbre dominant des réserves intégrales de Fontainebleau. Plus loin de la Manche, vers l'est et le sud, les hêtraies s'élèvent progressivement sur les pentes de l'étage montagnard (en moyenne entre 700 et 1 800 m d'altitude), quand la pluviosité ou l'humidité de l'air sont suffisantes. Un exemple en est fourni par les Alpes franco-italiennes, où, à altitude égale, les hêtraies sont remplacées au cœur de la chaîne par les futaies de pin sylvestre ou de mélèze, alors qu'ailleurs elles se maintiennent, bénéficiant de l'humidité venue de l'Atlantique ou de la Méditerranée, brutalement condensée par les hauts reliefs des massifs subalpins ou de la marge piémontaise ( ; comparer avec la ).
La hêtraie subsiste sur les montagnes méditerranéennes, notamment dans les stations escarpées de pente nord où elle a pu échapper aux troupeaux : la célèbre forêt relictuelle de la Sainte-Baume, bois sacré volontairement protégé depuis des millénaires, constitue un des exemples les plus isolés et les plus spectaculaires parmi les fragments de hêtraies disséminés du Canigou aux Apennins et à la mer Égée.
La hêtraie européenne apparaît ainsi limitée vers le sud par la sécheresse de l'air, résultant elle-même de l'action combinée de la température excessive ou de l'insuffisance des précipitations. Ces influences sont en rapport avec les particularités physiologiques du hêtre : enracinement médiocre, mauvaise conductibilité des vaisseaux, forte transpiration. Sa faible aptitude à absorber l'eau, notamment[...]
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Écrit par
- Marcel BOURNÉRIAS : docteur ès sciences, professeur agrégé en sciences naturelles
Classification
Médias
Autres références
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FORÊTS - La forêt, un milieu naturel riche et diversifié
- Écrit par Yves BASTIEN et Marcel BOURNÉRIAS
- 8 183 mots
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...ceux-ci ne tardent pas à devenir envahissants (si les autres conditions écologiques leur conviennent), ce qui assombrit encore le sous-bois ; peu à peu, la hêtraie remplace la chênaie, et, dans les réserves de Fontainebleau, par exemple, on voit souvent, au sein de la futaie de hêtres, de très vieux chênes...