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HEURISTIQUE

Vers l'heuristique comme psychologie de la découverte

Ce que l'on pourrait à bon droit nommer la conception moderne de l'heuristique apparaît dans les grands traités de méthode du xviie siècle –  conception qui va inéluctablement conduire à une interprétation psychologiste. On voit, en particulier chez Descartes, s'opérer une véritable transformation dans l'idée de méthode de découverte. Yvon Belaval a montré en quoi la méthode cartésienne, tout en se révélant plus que celles qui l'ont précédées une « propédeutique de créateur », bouleverse profondément le contenu et la nature même de l'ars inveniendi. Pas de règle mécanique, pas d'invention « en forme » partant de rien ou de notions communes. L'expression fondamentale est chez Descartes : fortunae auxilio potius quam artis – avec le secours de la fortune plutôt qu'avec le secours de l'art. C'est ainsi que la recherche commence et c'est là qu'à l'accoutumée les hommes s'arrêtent « dans des recherches faites à l'aventure et aveugles ». Certes l'exercice de l'art est nécessaire, mais il exige un point de départ : un ingenium ; « il ne rend pas apte, mais plus apte à découvrir de nouvelles vérités ». S'il y a bien une méthode heuristique chez Descartes, elle demeure un art sans plus être une technique (en considérant les sens aujourd'hui séparés de ces termes), et un art qui n'a qu'une portée en définitive indirecte, en cela qu'il perfectionne notre ingenium. « Il n'y a pas de procédés communicables pour aboutir à l'invention, traduit crûment Belaval, à chacun de forger ses propres instruments. » C'est la fréquentation de l'art plus que son exercice direct qui représente la valeur heuristique de la méthode ; elle n'est pas un instrument, mais un instrument à façonner des instruments. Et il faudra peut-être toujours concéder, avouera Descartes face à certains problèmes difficiles, que l'art ou la méthode se mêlent de bonheur ou de hasard.

En dehors de Leibniz, qui ouvrira dans ce domaine une perspective radicalement différente, comme on le verra, la plupart des conceptions de la méthode supposeront cette tendance spontanée de l' esprit à connaître les choses et à découvrir l'inconnu ; la seule justification de l'art se trouve dans ce que ce mouvement de l'esprit est interrompu, dévié, affaibli, et que l'âme est offusquée, aveuglée. La méthode, selon l'expression de Tschirnhaus, est une medicina mentis. Il s'agit bien d'amender l'esprit, de le purifier, de le guérir, de lui rendre sa spontanéité native, de le réformer, pour rappeler le traité de Spinoza. On comprend dès lors qu'il ne peut plus être question de techniques heuristiques comme instrument de dévoilement de l'inconnu et de constitution du nouveau. Il ne reste qu'à déterminer les conditions de conversion de l'esprit ; pas de mécanisme destiné à forger le nouveau, ou à accéder aux choses, mais plutôt des propositions d'entraînement, des règles d'hygiène et d'éducation de l'esprit, sans oublier l'examen des situations propices au ressurgissement de l'ingenium « empêché dans sa nature ». D'une certaine façon, les disciplines récentes comme la «  créativité » se situent dans la droite ligne de cette tradition (brainstorming, synectique de Gordon, etc.). La théorie sous-jacente de la connaissance, qui était celle d'une nature voilée, devient ici celle d'un esprit gauchi et obscurci.

Si l'on veut que l'heuristique stricto sensu retrouve un sens, et si l'on entend conserver le cadre de référence de la subjectivité moderne au sein duquel la question de la méthode a été discuté, alors il est nécessaire de renoncer à la spontanéité de[...]

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  • : assistant au Conservatoire national des arts et métiers, membre du Laboratoire sur les sciences de la communication du C.N.R.S., secrétaire de rédaction de la revue Agora, éditions du C.N.R.S.

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