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HEURISTIQUE

Heuristique générale ou la logique de la découverte

Toute épistémologie est tenue de décider de deux problèmes : comment la certitude peut-elle être atteinte dans la connaissance scientifique – problème que l'on a coutume d'indexer sous le titre de « problème des fondements » –, et comment la découverte est-elle possible, découverte qui s'insère dans un mouvement spécifique résumé dans le terme de « progrès ». C'est la réponse à cette seconde interrogation que prend en charge une heuristique générale ou une logique de la découverte.

Chaque problème souffre d'un paradoxe initial. L'examen des fondements doit démêler le trilemme dit de Münchhausen : la recherche de fondements ultimes conduit ou à une régression à l'infini, ou à une fondation circulaire formant une pétition de principe, voire une justification autoréférentielle, ou enfin à la décision d'un arrêt arbitraire dans la régression pour choisir une base arbitraire. L'heuristique doit résoudre, elle, le paradoxe de Ménon (Platon, Ménon, 80 d-e) : la découverte est impossible. L'argument se développe ainsi : il n'est pas possible de trouver si l'on ne sait pas ce que l'on cherche et quoi chercher. Si on le sait, il est inutile de le chercher puisqu'on l'a déjà. On connaît la solution platonicienne : la recherche est anamnèse, redécouverte du déjà-su, passage de l'implicite à l'explicite. La réponse suit le mouvement du paradoxe : on découvre ce que l'on sait car, d'une autre manière, on ne le savait pas. Toute épistémologie de la découverte, toute théorie de la recherche doit prendre en compte le paradoxe initial de l'heuristique générale.

L'une des directions théoriques qui a été empruntée afin de dépasser l' aporie consiste à élaborer une théorie de la connaissance qui « dilate » l' immédiateté de la connaissance en jeu dans le paradoxe, en introduisant une distance entre l'esprit et la réalité. Cette distance se présente comme un accès aux choses – on retrouve la méthode (meta-hodos) comme via, ac ratio (Cicéron) – et il reste du caractère direct du savoir impliqué dans le problème de départ l'idée que cet accès peut être rationnellement appréhendé. En ce sens, il existe quelque chose comme une logique de la découverte, de l'accès aux choses ; et l'heuristique générale a précisément pour objet d'examiner la rationalité du processus de découverte.

Le statut d'une telle heuristique ne va pas de soi. Si l'on suit le trajet que nous avons esquissé et qui conduit de la méthode à la psychologie de la découverte centrée sur le secret de l'illumination heuristique, on ne voit pas quelle rationalité, autre que celle incluse dans la psychologie du processus ou l'écologie de la découverte, pourrait être invoquée. « Il n'y a pas de méthode permettant de créer des idées neuves, pas plus qu'il n'y a de reconstruction logique du processus en question », écrit Karl Popper. La seule rationalité qui puisse être concédée (et c'est ce que fera Popper), c'est celle d'une logique du développement de la connaissance : seule est susceptible d'une reconstruction rationnelle la procédure de mise à l'épreuve, le test auquel on soumet l'hypothèse jaillie « dans une intuition fondée sur une sorte d'amour intellectuel (Einfühlung) des objets d'expérience ». En définitive, les thèses poppériennes appartiennent bien à une forme d'heuristique générale à condition d'entendre par « découverte » à la fois l'idée surgie irrationnellement et la procédure de mise à l'épreuve qui va provisoirement agréger cette idée et lui attribuer le statut de découverte dans le corps du savoir (la notion fondamentale est celle du progrès). Cette distinction entre[...]

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Écrit par

  • : assistant au Conservatoire national des arts et métiers, membre du Laboratoire sur les sciences de la communication du C.N.R.S., secrétaire de rédaction de la revue Agora, éditions du C.N.R.S.

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