HEURISTIQUE
Heuristique et résolution de problèmes
On l'a déjà évoqué, les sciences cognitives ont redonné un sens aux techniques heuristiques dans la mesure où elles visent à élucider les mécanismes cognitifs fondamentaux. Tout système « intelligent » lato sensu présente des conduites qui lui permettent d'acquérir des connaissances en vue d'élaborer des comportements adaptés aux situations auxquelles il est soumis. L'invention ou la découverte ne représentent plus qu'une procédure de résolution de problèmes. L'innovation ne surgit que parce qu'il y a des problèmes à résoudre et, puisqu'ils sont posés à des systèmes intentionnels au sens de Daniel Dennett (The Intentional Stance), la procédure devient une stratégie. La stratégie heuristique constitue un opérateur – c'est-à-dire un ensemble de règles – qui, appliquées aux contraintes et données du problème, est susceptible de fournir une réponse optimale. Dans le cas le plus favorable, le traitement de l'information est possible via une stratégie algorithmique. Cela signifie qu'il est possible d'appliquer un calcul qui converge avec certitude vers une solution. Nous retrouvons l'écho d'une heuristique déductiviste. Dans les situations plus ordinaires, force est de recourir à des stratégies heuristiques au sens de la psychologie cognitive, c'est-à-dire à des techniques de résolution incertaines dont l'usage n'est justifié que par le constat d'une efficacité antérieure dans des problèmes analogues (P. Lindsay et D. N. Norman).
Cette façon d'appréhender la cognition possède une contrepartie récente dans les réflexions sur l'épistémologie de la découverte. Quelques auteurs récents ont tenté d'interpréter le thème constitutif de l'heuristique générale, à savoir la logique de la découverte comme un processus rationnel de résolution de problème. La science se développe en résolvant des problèmes. Il ne s'agit naturellement pas de retourner aux mécanismes psychologiques individuels. Des problèmes – par exemple des anomalies – surgissent dans un domaine scientifique et la recherche consiste à mettre en œuvre des procédés rationnels destinés à les résoudre. Cela signifie que, dans de telles positions épistémologiques, le concept même de rationalité est réinterprété. Il ne s'agit plus d'une rationalité méthodologique, analytique, centrée sur la structure conceptuelle et propositionnelle des sciences, mais d'une rationalité comportementale, instrumentalisée sur l'adaptation à des « situations-problèmes ». À l'instar des espèces naturelles qui doivent résoudre des problèmes au cours de leur évolution, l'activité scientifique – la logique de la découverte s'avère, dans ces conditions, être une logique collective – représente un mouvement évolutionniste autonome, suffisamment indépendant des hommes dans sa nature pour posséder une forme d'objectivité et de rationalité (T. Kisiel). Une découverte n'a pas d'autre statut que celui d'une activation du processus d'évolution. Là encore, toute l'interrogation épistémologique est tournée vers le développement de la science et se réduit à une heuristique générale qui, pour être évolutionnaire, n'en est pas moins une théorie de la rationalité de la découverte.
Ce qui rassemble le sujet de la psychologie cognitive, l'espèce naturelle et les sciences, c'est de représenter chacun à leur manière ce que Herbert Simon, le pionnier de ces théories, nomme des general problem solvers. Ce qui est à chaque fois mobilisé, ce sont « des processus informationnels élémentaires », assemblés et organisés hiérarchiquement et exécutés séquentiellement ; « ils font largement appel à des procédures de recherche de type essai-erreur et à[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre CHRÉTIEN-GONI
: assistant au Conservatoire national des arts et métiers, membre du Laboratoire sur les sciences de la communication du C.N.R.S., secrétaire de rédaction de la revue
Agora , éditions du C.N.R.S.
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