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HIÉRARCHIE

Observables dans toute société, archaïque ou moderne, totale – la société française, par exemple – ou partielle – le salon de Mme Verdurin –, les phénomènes de hiérarchisation sociale sont familiers et omniprésents. Dans toute société, les agents sociaux se classent les uns par rapport aux autres, se distinguent les uns des autres sous le rapport du prestige, du pouvoir ou de la richesse. Malgré cette familiarité, la théorie sociologique des hiérarchies sociales n'est actuellement qu'à l'état d'ébauche, même si on se concentre sur le cas des sociétés les plus proches de nous, à savoir les sociétés industrielles. Trois modèles théoriques généraux ont été proposés à cet égard : le modèle marxiste, le modèle fonctionnel et le modèle du marché. Il semble que le dernier de ces modèles fournisse le meilleur cadre général pour l'analyse des hiérarchies. Mais il doit être affiné pour prétendre à une véritable utilité. La connaissance des faits relatifs aux phénomènes de hiérarchisation dans les sociétés industrielles est, en outre, très insuffisante. Quelques chapitres sont bien étudiés : celui du rôle des systèmes d'éducation et de l'institution familiale dans la transmission individuelle des rangs sociaux, et celui de la mobilité sociale entre générations. On s'attachera néanmoins ici au cas des hiérarchies dans ce type de sociétés, la sociologie ne disposant pas actuellement, fût-ce à l'état d'ébauche, d'une théorie générale des phénomènes de stratification sociale.

Les modèles d'explication des hiérarchies sociales

Modèle marxiste

Selon le modèle marxiste, c'est l'organisation économique des sociétés qui constitue la cause fondamentale des phénomènes de hiérarchisation. Les classes sociales, concept central dans ce modèle, sont définies à partir des rapports de production. Karl Marx lui-même ne fait que reprendre sur ce point, en les modifiant et en les systématisant, un certain nombre d'idées qui étaient monnaie courante à la fin du xviiie siècle. Ainsi, dans son mémoire sur la formation et la distribution des richesses, Turgot introduit une distinction entre trois « classes » (le mot est de lui) sur la base de leur rôle dans le système de production : la classe productrice (des travailleurs agricoles, qui sont ainsi appelés parce qu'ils sont jugés produire plus qu'ils consomment), la classe stipendiée (des travailleurs non agricoles) et la classe disponible de ceux qui possèdent les moyens permettant aux autres de travailler et qui, ainsi, sont rendus disponibles pour fournir certains services essentiels et non rémunérés (c'est le cas, par exemple, de certaines fonctions gouvernementales à la fin du xviiie siècle). Avec Marx, la notion de classe est bien entendu conservée. Subsiste aussi l'idée que les classes reflètent l'organisation économique. Mais la révolution industrielle étant survenue entre-temps, les classes de Marx ne sont plus celles de Turgot. Dans le Manifeste, deux classes sont opposées (capitalistes et prolétaires), Marx estimant que le jeu politique du milieu du xixe siècle reflète principalement les intérêts antagonistes de ces deux classes. Ce couple de classes est hiérarchisé, les capitalistes dominant les prolétaires. Dans Le Capital, livre d'économie, une troisième classe, celle des propriétaires fonciers, tient un rôle important, bien qu'elle soit mal hiérarchisée par rapport aux autres. Dans des œuvres historiques comme Le 18-Brumaire, les classes sont plus nombreuses et partiellement hiérarchisées. C'est qu'ici on n'est pas en présence d'un survol historique comme dans le Manifeste, mais d'une analyse de type journalistique qui accorde une place nécessairement plus grande à la diversité des groupes sociaux définis par l'organisation[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Académie des sciences morales et politiques, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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