TAINE HIPPOLYTE (1828-1893)
Taine a été l'un des maîtres à penser de la France dans le dernier tiers du xixe siècle, et il a été admiré hors de France par les Anglais, dont il avait interprété la littérature avec maîtrise et quelque dogmatisme, par Nietzsche en Allemagne, par Brandes en Scandinavie, par nombre d'Italiens et d'Américains. Ses théories trop absolues ont été maintes fois réfutées ; l'éclat de son style un peu artificiel s'est terni ; sa foi en la science n'est plus celle des modernes. Mais, comme critique littéraire et critique d'art, comme psychologue et historien, il reste l'un des penseurs les plus importants et l'une des figures les plus attachantes du xixe siècle finissant.
La fortune de Taine subit une éclipse lors du succès du bergsonisme, puis de l'irrationalisme des années 1920-1940. Auparavant, Bourget, Barrès, Maurras, après Zola et les naturalistes, avaient été profondément marqués par son influence. Albert Thibaudet, divers historiens britanniques et allemands, les Américains Edmund Wilson et Harry Levin lui ont depuis rendu justice. Ils ont loué l'ardent amour de la littérature et de l'art qui inspirait Taine, et la force émotive qui animait ce romantique à l'allure réservée. « Personne n'est plus capable de passion que les hommes intérieurs », avait-il déclaré en termes révélateurs, dans ces lettres de jeunesse où il s'écriait avec joie : « Je saurai, je croirai ; je sais, je crois déjà [...] Je crois tout possible à l'intelligence humaine. »
Une méthode scientifique
Originaire des Ardennes – il est né à Vouziers –, il resta toujours attaché à son paysage natal de forêts et de rivières. Il y eut toujours en lui un poète panthéiste et il nourrit le désir de transposer dans ses théories critiques l'admiration pour l'organicité et la croissance harmonieuse qu'il avait cru observer dans les arbres. Il suivait de peu la génération de ces épigones du romantisme (Leconte de Lisle, Baudelaire, Flaubert, Fromentin) qui avaient souffert plus que les romantiques eux-mêmes du désaccord entre leurs rêves insensés et la plate réalité. Brillamment reçu à l'École normale supérieure en 1848, il semblait destiné à une brillante carrière dans l'Université. La réaction qui suivit la révolution de 1848 le fit, très injustement, échouer en 1851 à l'agrégation de philosophie. Après la proclamation de l'Empire, Taine refusa avec courage de prêter serment ; envoyé en disgrâce dans des lycées de province, il s'y consolait par la lecture de ses deux penseurs préférés, Spinoza et Hegel ; puis il démissionna. Dès lors, il vécut de sa plume, travaillant avec acharnement ; il voyagea en France, en Angleterre, en Italie ; il se maria en 1868. Ses lettres de jeunesse à ses camarades d'École normale révèlent un romantique et un passionné, déterminé à trouver dans la science une foi qui remplace la religion et à étendre la méthode scientifique aux domaines jusque-là livrés à l'impressionnisme ou au dilettantisme : morale, sociologie, esthétique, critique littéraire, histoire. Ses quelque vingt ouvrages, souvent publiés d'abord sous forme d'articles de revue, s'échelonnent entre 1852 et 1893, l'année de sa mort. Ceux de critique littéraire soutiennent le plus souvent une thèse et s'efforcent de tout déduire de la faculté maîtresse des esprits créateurs étudiés. Ce sont : un Essai sur les fables de La Fontaine (1852), repris en 1861 sous le titre : La Fontaine et ses Fables ; l'Essai sur Tite-Live (1855) ; une Histoire de la littérature anglaise (1856-1863) en cinq volumes, et trois séries d'études inégales, mais le plus souvent remarquables pour leur acuité d'analyse et leurs formules saisissantes, Essais, Nouveaux Essais et Derniers Essais de critique[...]
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Écrit par
- Henri PEYRE : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université Yale, Connecticut, États-Unis
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