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TAINE HIPPOLYTE (1828-1893)

Le philosophe et le critique

L'originalité de la pensée de Taine a consisté en l'union qu'il opéra entre la philosophie associationniste et analytique du xviiie siècle, qui prétendait tout expliquer par la sensation et l'association, et la foi en l'énergie spirituelle qu'avait professée le romantisme allemand. Les contradictions inhérentes à la pensée et à la vie se résolvent, chez lui, dans une synthèse supérieure qui les surmonte et les projette dans le devenir. Le tout organique n'est pas le résultat d'une combinaison d'éléments, mais préexiste aux diverses parties que l'analyse révèle dans ce tout.

À l'hégélianisme Taine ajoute un sens aigu de l'anthropologie (qui dévoile la lente montée de l'homme depuis l'animal) et de la science des monstres, dont son cher Balzac avait déjà tiré parti dans ses romans. Il s'attache aussi à la recherche de la causalité de l'œuvre : il affirmera qu'on peut la trouver dans la célèbre triade race-milieu-moment, termes qu'il n'a jamais clairement définis. Dans chaque créateur, il croit déceler une faculté maîtresse, dont il déduit tous les autres caractères selon une loi « des dépendances mutuelles ». Derrière la littérature et l'art, il s'efforce d'atteindre la société qui a produit les œuvres, ou les avait rendues possibles.

Ce structuralisme avant la lettre est évidemment trop rigide. Il ne saisit pas l'unicité de l'individu dans son authentique originalité. Il a été souvent réfuté, et tout d'abord par Sainte-Beuve. Mais, du moins, Taine a libéré à jamais la critique de la notion que les grandes œuvres tombent du ciel comme des météores, que rien n'est mesurable dans les sciences humaines et que l'art est sans rapport avec l'état social ou la philosophie latente d'un pays.

L'œuvre historique de Taine est inspirée par un pessimisme profond. « Quel cimetière que l'histoire ! », s'écriait-il devant les musées d'Italie. Il avait cru voir affleurer autour de lui, à une ère de guerres et d'émeutes, la brute à demi enfouie dans l'homme dit civilisé qui menace parfois le fragile édifice de la civilisation. Il s'était convaincu que la France en particulier avait trop souffert de son tour d'esprit abstrait et rationnel à l'excès, qui la pousse à détruire pour tout rebâtir. « En fait d'histoire, écrivait Taine, il vaut mieux continuer que recommencer. » Sa grande fresque de la période révolutionnaire et impériale a de l'éclat ; elle comporte des portraits remarquables ; mais c'est une synthèse d'artiste à l'esprit généralisateur, une tentative de philosophie de l'histoire, plutôt que de l'histoire proprement dite. Le penseur n'avait pas la patience de compulser assez d'archives et il lui manquait la modestie de savoir ignorer.

— Henri PEYRE

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université Yale, Connecticut, États-Unis

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