KORE-EDA HIROKAZU (1962- )
Difficile liberté
Kore-eda sait que cette non-conformité met en danger ceux qui croient pouvoir la vivre. Mais ce réalisme parfois pessimiste ne retire rien à l’énergie de ses personnages et de sa propre mise en scène. Dans Après la tempête, le cinéaste évoque en la transposant l’image de son propre père, distant, indécis, frustré et peu fiable. Comme dans tout effet de miroir générationnel, le cinéaste médite probablement sur ses propres amertumes. Ce père de cinéma, écrivain incertain et détective privé maladroit (à l’image d’Antoine Doinel ?) cherche le sens, la confiance qui lui manquent. Entre l’argent qui fuit, une femme qui s’éloigne, une mère qui vieillit, un fils qui va entrer dans l’adolescence, il avance, malgré ses doutes et ses faiblesses. Comme l’éruption volcanique de I Wish, le typhon de Après la tempête est une contrainte supplémentaire imaginée par le cinéaste pour questionner la liberté de ses personnages. Que faire, précisément, de cette liberté toujours menacée ? Kore-eda suit les chemins d’Ozu en interrogeant la transmission familiale, mais il n’est pas loin de Sartre écrivant « Être libre, c’est se choisir dans le monde ».
On retrouve un groupe familial baroque, non conforme et plein d’amour dans la palme d’or 2018, Une affaire de famille, chef-d’œuvre au sens propre d’un maître artisan au sommet de son art. Le cinéaste sait parfois prendre d’autres chemins. Air Doll (2009) pose les questions de la liberté et de l’identité grâce à un personnage de poupée érotique en caoutchouc ramenée à la vie et confrontée au réel. Dans The ThirdMurder (2017), les problématiques familiales sont les rouages d’une énigme criminelle. Pour la première fois chez Kore-eda, le film manque de fluidité. Répugnant, à juste titre, aux réponses toutes faites, il s’emmêle un peu dans l’intrigue judiciaire et perd de sa grâce habituelle. Mais, même pour ce film déséquilibré, il reste irremplaçable.
Comme les grands maîtres, Akira Kurosawa, Mizoguchi ou Ozu, Kore-eda est un cinéaste humaniste. Mais, comme Truffaut, il est surtout un contestataire discret, capable d’interroger les conventions sociales comme le langage cinématographique sans jamais afficher ostensiblement la révolte ou l’avant-gardisme. C’est précisément cette discrétion qui nourrit la force et la cohérence de son œuvre.
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Écrit par
- René MARX : critique de cinéma
Classification
Média
Autres références
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UNE AFFAIRE DE FAMILLE (H. Kore-eda)
- Écrit par René MARX
- 1 123 mots
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JAPON (Arts et culture) - Le cinéma
- Écrit par Hubert NIOGRET
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Cinéaste plus effacé et moins prolifique, Kore-eda Hirokazu construit patiemment une œuvre personnelle. Il est rendu célèbre par son deuxième film, After Life (Wandafururaifu,1998). Par la suite, StillWalking(Aruitemoaruitemo, 2008) et Tel père, tel fils (Soshite chichi ni naru,2013) ont...