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HISTOIRE AMOUREUSE DES GAULES, Roger de Bussy-Rabutin Fiche de lecture

Le crépuscule de l'aristocratie

Démarquant Pétrone – il cite d'ailleurs directement le Satiricon –, Apulée et Brantôme, Bussy-Rabutin trouve dans les passions de quoi déterminer les actions publiques. Mme de La Fayette, Saint-Réal et Mme de Villedieu suivront le mouvement. Il s'agirait donc moins de diffamer que de lever le voile sur la société contemporaine, en divertissant les auditeurs, pour produire une conversation heureuse, et pour donner aux lecteurs un « roman satirique », libre esthétiquement et moralement, capable d'observer ironiquement les ridicules, de condamner l'hypocrisie et d'expliquer la marche des affaires.

En représentant une société qu'il connaît de l'intérieur, Bussy doit ainsi mêler les réalités et l'imagination, constituer une galerie de portraits à peine masqués par l'usage des pseudonymes – comme il est alors d'usage dans les salons –, citer des lettres (vraies ou rédigées pour l'occasion) et leurs réponses, intégrer des sonnets, des épigrammes et des vers de chanson, jouer la diversité de ton, tout en gardant le détachement (la sprezzatura dirait Castiglione) du Grand qui ne peut écrire qu'en montrant bien qu'il n'est pas auteur, mais homme d'épée. Toutefois, se divertir aux galanteries des uns, aux vices des autres, aux roueries intéressées des courtisans et aux abus de pouvoir des souverains ne suffit pas. Il faut aussi proposer, sous les historiettes, un code auquel on peut croire un peu, derrière la pointe et le rire. Ce code, c'est celui de l'aristocrate hautain, fier de ses nombreux quartiers de noblesse, de son honnêteté et de son honneur – des valeurs qui sont le dernier rempart d'une classe menacée, en butte au pouvoir absolu de la monarchie. Du haut de ce promontoire, dans son château bourguignon, Bussy s'exerce à juger son temps, sans morale religieuse, mais au nom d'un idéal dont il ne sait pas lui-même s'il a existé autrement qu'en rêve.

Cependant, bien plus qu'un romancier satirique, Bussy est avant tout un « œil » lucide et ironique : il peint un monde en désordre, le monde d'après Richelieu, le ministre honni, un monde dans lequel l'aristocratie est muselée, pourrie par Mazarin, en proie aux calculs de toutes sortes. Reste que, au milieu de ce désordre, les sens, les passions, les intérêts croisés et les vices permettent qu'on ait du plaisir, comme ont tant de plaisir les lecteurs curieux, avides de saisir, une fois le voile levé, les secrets des courtisans, des princes et des monarques.

— Christian BIET

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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