HISTOIRE APOLOGÉTIQUE SOMMAIRE, Bartolomé de Las Casas Fiche de lecture
La Historia apologética sumaria est une œuvre essentielle pour comprendre le sens du combat de Las Casas en faveur du droit des Indiens. Cette lutte politique concrète rend inséparable la rédaction de récits historiques (Historia de los Indias, Brevísima relación de la destrucción de las Indias), celle de traités théologico-politiques (Treinta proposiciones muy jurídicas) et l'anthropologie comparée de cette « Histoire apologétique sommaire ». Les preuves empiriques de la violence hispanique apportées dans la Très Brève Relation de la destruction des Indes ne sont jamais suffisantes car elles peuvent toujours s'interpréter comme une simple dénonciation humanitaire des excès de la conquête. Pour fonder le droit des Indiens, Las Casas devait s'attaquer aux principes juridiques et anthropologiques des justifications théocratiques et humanistes de la conquête. L'objet de l'Apologética est de réfuter la thèse de la barbarie des Indiens, prise au sens propre, qui permet, entre autres, à Juan Ginés Sepúlveda de leur appliquer la thèse aristotélicienne de la servitude naturelle selon laquelle les hommes qui ne vivent pas en accord avec la loi naturelle sont naturellement destinés à être gouvernés par les plus civilisés.
Égalité des sociétés au plan de la loi naturelle
Les premiers textes de l'Apologética ont probablement été rédigés dès 1536 pour répondre à la Historia natural y general de las Indias de Gonzalo Fernández de Oviedo (1535) où Sepúlveda a trouvé des justifications empiriques et anthropologiques de la thèse de la barbarie des Indiens. Ces textes et leurs développements feront partie de la Historia de las Indias avant d'en être extraits en 1552 pour constituer l'Apologética qui sera définitivement achevée en 1554. Bien que la première édition complète ne date que de 1909, cette œuvre n'est pas restée totalement inconnue, puisque de nombreux chapitres ont été utilisés par différents auteurs dès la seconde moitié du xvie siècle.
Las Casas consacre 1 300 pages et 267 chapitres pour démontrer que les Indiens ont bien développé toutes les facultés humaines dans les limites de la nature et de la raison et qu'il n'y a aucune raison de penser qu'ils sont incapables de se gouverner de manière souveraine. Dans les chapitres 1-44, il montre que la situation géographique de l'Amérique favorise un bon développement de l'entendement. Les Indiens font preuve de prudence monastique (le gouvernement de soi) et de prudence économique. Mais c'est surtout l'établissement d'une prudence politique qu'il va développer à partir du chapitre 46. Il applique un schème emprunté à Aristote. La société humaine est divisée en six parties. 1. Des paysans (chap. 59-60) ; 2. Des artisans (chap. 61-65) ; 3. Des guerriers (chap. 66-68) ; 4. Des hommes riches pour le commerce (chap. 69-70) ; 5. Des prêtres (chap. 71-194) ; 6. Des gouvernants et des juges (195-262). L'argumentation prend la forme d'une anthropologie comparée où Las Casas confronte les institutions des peuples païens connus par l'histoire, qui sont généralement devenus chrétiens, avec celles des Indiens, qui sont appelés à le devenir, pour démontrer que ces derniers vivent au moins aussi humainement que les premiers, c'est-à-dire en accord avec la raison et la loi naturelle.
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Écrit par
- Nestor CAPDEVILA : maître de conférences de philosophie politique à l'université de Paris-X-Nanterre
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