HISTOIRE, Claude Simon Fiche de lecture
Le désordre de la mémoire
Si la chronologie affichée par Histoire semble dictée par une logique toute classique, l'« histoire » racontée par Simon est avant tout celle du « foisonnant et rigoureux désordre de la mémoire ». Respecter l'unité de temps fermée, tragique, de la journée permet à l'auteur de contester avec d'autant plus de force la continuité du temps linéaire des horloges, remplacée ici par la « discontinuité foudroyante » de la conscience, où la mémoire fait à chaque instant affluer un « magma d'émotions ».
La phrase d'Histoire rend sensible cette irruption continue. Longue, sinueuse, proliférante, elle charrie une multitude de sensations et de détails ; truffée d'incises, de parenthèses, d'ajouts, de corrections, de digressions, rarement balisée par les marques habituelles (liaisons absentes, ponctuation lacunaire, participe présent qui efface les repères temporels), elle est animée par le désir, qui lui confère sa force poignante et lyrique, de transcrire avec exactitude les mouvements de la conscience.
Claude Simon, dont la première ambition était d'être peintre, considère le regard comme le sens privilégié de la mémoire (l'expression « je pouvais voir » est ici récurrente). Il prend pour point de départ des images (cartes postales, photographies ou aquatinte représentant Barcelone) qu'il met en mouvement afin de briser la chronologie artificielle du langage linéaire : « J'écris mes livres comme on ferait un tableau. Tout tableau est d'abord une composition. »
De fait, Histoire est composé de manière très élaborée, selon un montage rigoureux qui peut déconcerter le lecteur : le déroulement logique du texte y est sans cesse interrompu par des « transports de sens » engendrés par les jeux sur les signifiants, les métaphores, les réécritures intertextuelles (Reed, Apulée, Proust). Ces transports n'ont rien d'aléatoire : ils visent à restituer le « réseau de correspondances » qui constitue la structure de toute mémoire. En effet, comme le souligne l'exergue empruntée à Rilke (« Cela nous submerge. Nous l'organisons... »), il importe pour Simon de tenter d'organiser en une structure cohérente le « foisonnant » mais « rigoureux » chaos de la mémoire.
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Écrit par
- Christine GENIN : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France
Classification
Médias
Autres références
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SIMON CLAUDE (1913-2005)
- Écrit par Christine GENIN
- 3 134 mots
- 2 médias
Histoire, qui obtient le prix Médicis en 1967, est à la fois très formel et très intime. Les événements d’une journée servent de cadre pour explorer les traces de l’histoire de ses parents et des femmes qu’il a aimées et perdues. Le flux de conscience d’un narrateur proche de l’auteur charrie images,...