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HISTOIRE COMIQUE DE FRANCION, Charles Sorel Fiche de lecture

Face à L'Astrée d'Honoré d'Urfé et aux grands romans de Gomberville, puis de Mlle de Scudéry, le début du xviie siècle développe le genre de « l'histoire ». À la différence du merveilleux, et contre le principe de la pastorale idéalisante, les histoires comiques et tragiques revendiquent un rapport étroit aux réalités les plus basses. Pour ce faire, elles reprennent, à l'origine, la tradition des fabliaux médiévaux et s'inspirent des récits italiens du xvie siècle. Si les histoires tragiques de Boaistuau, de François de Rosset ou de Jean-Pierre Camus, sous couvert d'entraîner le lecteur à détester les violences qui y sont narrées pour qu'il embrasse la morale et la religion, obtiennent un énorme succès, les histoires comiques, qui offrent un autre type de décalage, sont tout aussi plébiscitées.

C'est dans ce courant que Charles Sorel va écrire son Histoire comique de Francion. Publié anonymement en 1623, le livre connaît une édition augmentée en 1626, puis une édition définitive, signée du pseudonyme de Nicolas Moulinet, sieur du Parc, en 1633. Le réalisme s'y oppose au merveilleux (que Sorel, en auteur de pastorale, connaît bien), sans tomber dans son envers absolu, la veine populaire. Il s'agit ici de combattre le romanesque héroïque au nom d'un autre type de roman : l'histoire comique comme « peinture naïve de toutes les diverses humeurs des hommes » (Avertissement de Polyandre). Ainsi, sous l'apparence d'un récit simple et joyeux, Sorel entreprend de décrire les défauts des hommes pour, dit-il, que les lecteurs les censurent.

Le comique, perspective réaliste sur le monde

Francion, héros éponyme de ce roman d'apprentissage, est un gentilhomme breton envoyé à Paris pour se former dans un collège pédant et poisseux. Tour à tour poète, secrétaire et voyageur curieux – ce qui permet un nombre appréciable de récits enchâssés –, Francion va séduire Laurette, épouse volage d'un vieillard impuissant, avant de partir en quête d'une autre femme dont il admire le portrait. Plus lointaine et plus difficile à posséder, Nays vit en Italie. Il l'épousera finalement après avoir encore séduit une troisième femme, Émilie. À partir de ce premier récit, le roman intègre toute sorte d'histoires adventices et de narrations rétrospectives, qui fragmentent la chronologie, s'arrêtent sur des portraits, enchâssent des poèmes, développent successivement une vision de Paris et un point de vue sur Rome, enfin permettent au lecteur de constater combien la vie est affaire de relativité et de compromis.

En quoi consistent donc ces tableaux comiques de la vie humaine qui doivent concurrencer les amours et les chevauchées épiques des grands romans ? Sorel emprunte à la vie quotidienne des silhouettes, des activités, des mœurs, des vocabulaires particuliers, en les soulignant de quelque satire (ainsi le pédant Hortensius a pour clé Guez de Balzac). L'essentiel est de distinguer chacun à partir de notations précises qui rendent compte des conduites humaines en ce qu'elles révèlent un groupe social, un métier, une condition. Dans cette histoire de picaro français, les paysans jouent les grossiers et les sauvages ; les courtisans brillent par leur arrogance ; les bourgeois par leur envie et leur souci du gain ; les poètes crottés par leur vanité, etc. Chacun a donc son état, qui le situe sur un axe hiérarchique. Mais, et c'est là l'intérêt du roman, chacun trouvera sa place dans la fiction, en particulier le monde interlope des prostituées, des mendiants et des maquerelles, qui côtoie celui des juges corrompus et celui des galants. Car il s'agit bien ici de peindre une France, urbaine plus que paysanne, au travers d'un Francion qui la découvre.

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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