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HISTOIRE DE GIL BLAS DE SANTILLANE, Alain-René Lesage Fiche de lecture

Pour les lecteurs contemporains, Lesage n'est pas, comme l'abbé Prévost avec Manon Lescaut ou Bernardin de Saint-Pierre avec Paul et Virginie, l'homme d'un seul livre, Gil Blas. Turcaret surtout, mais aussi Le Diable boiteux ont un public, des lecteurs. Mais le héros, ici, tend à éclipser l'auteur. À quoi tient finalement la fortune de ce gros roman ? Au « pittoresque » des aventures racontées ? À la figure du personnage éponyme, si changeante, si labile que Sainte-Beuve a pu dire : « Gil Blas, c'est vous, c'est moi, c'est tout le monde » ?

Au crépuscule du picaresque

La publication de L'Histoire de Gil Blas de Santillane a accompagné la vie de Lesage pendant vingt ans ; car Alain-René Lesage (1668-1747) en fournit trois livraisons : 1715 pour les deux premiers tomes (livres I à VI), 1724 pour le troisième (livres VII à IX), 1735 pour le quatrième (livres X à XII). Si l'on peut voir là autant une expression du succès de l'ouvrage que celle de la nécessité où se trouvait l'auteur, écrivain de métier, de gagner sa vie, il est vrai que le rythme s'assagit au fil des tomes. Après le romanesque débridé des aventures de jeunesse, Gil Blas accomplit une ascension sociale exemplaire, même si chaque étape la remet en question, jusqu'à sa philosophique retraite dans son château de Lirias.

Cette Espagne du Siècle d'or où Lesage situe l'action de son roman – beaucoup plus clairement il est vrai à partir du troisième tome qui voit Gil Blas hanter les hautes sphères de la monarchie –, cette Espagne où dit-on Lesage n'est jamais allé, est le propre d'un genre, le roman picaresque. Gil Blas serait « le seul roman français indiscutablement picaresque » (Didier Souillier). Picaresques, certes, les deux premiers tomes, par le motif du voyage, la variété des personnages rencontrés, les revers de fortune, les passages obligés (duperie, déguisement, vol, prison) ; picaresque sans doute – mais pas seulement – la technique d'écriture : narration à la première personne, récits intercalaires. Mais Gil progresse socialement et moralement, et change de condition : au terme du premier tome, il refuse « les désordres de la vie comique » pour se mettre au service d'une aristocrate – qui lui demande aussi, il est vrai, de jouer la comédie. Si le héros laisse encore la parole à d'authentiques picaros (Raphaël, Scipion), il n'en deviendra pas moins secrétaire de l'archevêque de Grenade, favori du duc de Lerme puis du comte d'Olivarès. Cette évolution du personnage, bourgeoise et philosophique, rejoint un fantasme ou une réalité de son siècle, celui de la Régence et des premières années du règne de Louis XV. Certes, le « réalisme » – moins la critique sociale que la peinture, souvent concrète et plaisante, de certains groupes : comédiens, médecins, ecclésiastiques, mondains, courtisans, écrivains – n'est pas exactement convaincant, car il n'échappe pas aux clichés. Mais Gil Blas est plutôt un roman à la croisée des chemins, une œuvre « rococo » qui interroge à sa façon le monde, cherche à « exprimer la variété de l'univers » en se servant de « la légende d'un héros comme fil conducteur » (Eckermann à Goethe, 13 février 1831).

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, maître de conférences à l'université de Poitiers

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