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HISTOIRE DE LA GRANDEUR ET DE LA DÉCADENCE DE CÉSAR BIROTTEAU, Honoré de Balzac Fiche de lecture

« C'est Socrate bête »

Si Balzac eut tant de mal à venir à bout d'un récit qu'il comparait à une épine dans le pied, c'est qu'il hésita beaucoup sur le sens à lui donner. Avant de le ranger dans les Études de mœurs et les Scènes de la vie parisienne, il songea en effet à le faire entrer dans les Études philosophiques. L'histoire de ce parfumeur, tellement rongé par l'obsession du devoir qu'il en meurt, n'illustre-t-elle pas un des thèmes particulièrement chers à l'auteur depuis qu'il s'est approprié la doctrine du philosophe Swedenborg : la destruction de l'individu par la pensée ?

Toutefois, si, comme Louis Lambert ou Raphaël de Valentin, le héros de La Peau de chagrin, Birotteau périt bien « sous le foudroiement de quelque acide moral », il n'en reste pas moins un boutiquier parvenu : « C'est Socrate bête, buvant dans l'ombre et goutte à goutte sa ciguë. » Le tragique de sa destinée ne fait pas oublier la trivialité de sa condition et le grotesque de son être. Comme le souligne l'auteur, « il semble que les personnages bourgeois supportent mal d'être élevés au-dessus d'eux-mêmes ».

Si Balzac accentue, parfois jusqu'à la caricature, la bêtise de Birotteau, c'est que, sachant qu'il n'est pas facile de rendre intéressant un personnage vertueux, il cherche à renforcer la consistance littéraire de celui-ci. Ridicule au temps de sa grandeur, le parfumeur n'en devient que plus pathétique quand vient la décadence, d'autant que Balzac qui, avec le désastreux rachat de La Chronique de Paris, vient lui-même de connaître la faillite, se projette dans son personnage, auquel il prête nombre de ses traits. Cela explique qu'après l'avoir dévalorisé, il s'y attache jusqu'à faire de lui un « type » universel : « Les infortunes de Birotteau sont pour moi celles de l'humanité. »

Le roman comique ou héroï-comique fait alors place au mélodrame et à son affrontement manichéen entre les représentants du Bien et ceux du Mal. D'un côté, Birotteau, sa femme Constance, belle et sage comme une madone, son oncle Pillerault, sa fille Césarine et Popinot, son soupirant ; de l'autre, l'inhumanité des banquiers pour qui « le cœur n'est qu'un viscère », l'amoralité de Du Tillet, de son comparse Claparon et de Molineux, l'avide propriétaire du parfumeur.

Par-delà une intrigue édifiante, le roman s'avère un des meilleurs points d'entrée dans la bourgeoisie de commerce et d'affaires de La Comédie humaine. Monde du commerce d'abord, que Balzac n'avait pas abordé depuis La Maison du chat-qui-pelote (1842). C'est l'occasion pour lui de décrire les nouvelles pratiques apparues sous Louis-Philippe : le lancement de produits miracles pour lesquels la caution de grands savants est sollicitée, les affiches et les prospectus, le rôle du représentant de commerce, incarné ici par l'illustre Gaudissart. Monde de la finance ensuite, dont le récit permet de visiter toutes les coulisses, depuis les palais d'un Keller ou d'un Nucingen jusqu'aux mauvais lieux où officient un Claparon ou un Gigonnet.

Sans être l'« œuvre capitale » que Balzac ambitionnait d'écrire, César Birotteau n'en est pas moins un roman essentiel à l'économie générale de La Comédie humaine et à sa bonne compréhension. Il a en tout cas permis à son auteur de créer une figure haute en couleur, qui, à l'instar de ces autres martyrs de la société que sont Pons et Goriot, est devenue l'une des plus populaires de sa mythologie.

— Philippe DULAC

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

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