POLICE FRANÇAISE HISTOIRE DE LA
L'invention d'un modèle républicain
Avec la IIIe République (1870-1940) – le premier régime démocratique de longue durée que la France a connu –, des conditions nouvelles se créent et des problèmes inédits se posent : ceux d'une démocratie parlementaire confrontée, sans grande préparation ni réflexion préalables, aux tensions et contradictions qui séparent les aspirations des Lumières mises en œuvre dans les textes et mesures des premières années de la Révolution, et la réalité policière des régimes ultérieurs. L'héritage policier que trouvent les républicains de 1870 est largement marqué par ses origines napoléoniennes et l'usage qu'en ont fait les deux Empires. Armés du seul bagage des principes de 1789, les républicains, qui arrivent aux affaires dans un contexte particulièrement difficile, ont tout à inventer du rôle, de la place, des missions, de l'organisation, du statut, des pratiques d'une police dans une démocratie, de ses rapports au politique, à la société, mais aussi du recrutement, de la formation de policiers au service des libertés. La démocratie représentative, des alternances politiques périodiques, l'affirmation des libertés fondamentales, l'alphabétisation générale, le poids et l'influence considérables d'une presse libre, l'embourgeoisement de la société et la « civilisation » des mœurs qui en résulte expliquent une demande sociale forte et contradictoire – plus de sécurité, mais moins de contraintes – et l'apparition d'une interrogation récurrente : « Que fait la police ? »
Une police dont les échecs, les bavures, les faiblesses deviennent – c'est une grande nouveauté – un enjeu politique. La République, « fille des barricades », systématiquement assimilée au désordre par une partie de ses adversaires, est alors mise en cause pour son inaptitude à garantir l'ordre et la sécurité – c'est l'argument de la droite antirépublicaine – ou à respecter l'égalité et la liberté – ce sera un argument récurrent de la gauche antiparlementaire. À cet enjeu politique de taille – dont témoignent les crises sévères que connaît une république en butte à l'hostilité d'adversaires bien décidés à renverser la « gueuse » ou la « république bourgeoise » –, il faut ajouter un souci électoral préoccupant pour des députés, des sénateurs, des gouvernants interpellés par leurs électeurs sur une criminalité qui fait quotidiennement la une des journaux et se trouve à l'origine d'une psychose d'insécurité inédite.
C'est pourquoi la période 1880-1914 correspond, pour l'histoire de l'institution, à l'abandon des utopies et de l'angélisme affichés en 1870. Confrontés aux réalités, les différents gouvernements, de droite ou de gauche, aidés de grands responsables policiers, entreprennent des réformes multiples et durables qui marquent une nouvelle étape dans la constitution d'une police moderne, illustrée par la naissance de la « police technique et scientifique », qui laisse un temps espérer une police infaillible et « propre » débarrassée des pratiques de force utilisées pour obtenir la « reine des preuves » que constituent les aveux. Parmi ces réformes, citons : la création d'une police judiciaire mobile (les brigades régionales mobiles, 1907-1908) ; la mise en marche timide d'une étatisation des polices municipales (Marseille, en 1908) ; une réflexion sur l'essence même d'une police « démocratique », ses pratiques et ses missions – une police judiciaire protectrice des citoyens, des Renseignements généraux (l'expression apparaît en 1907) protégeant la démocratie, un maintien de l'ordre défendant la liberté contre ses propres excès tout en respectant les libertés fondamentales et l'intégrité physique de citoyens « égarés par[...]
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Écrit par
- Jean-Marc BERLIÈRE : professeur émérite à l'université de Bourgogne
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