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HISTOIRE DE LA POLITESSE DE 1789 À NOS JOURS (F. Rouvillois) Fiche de lecture

Professeur de droit public, Frédéric Rouvillois nous propose une Histoire de la politesse en France (Flammarion, 2006) dont les manuels ou traités à usage des honnêtes gens constituent la charpente. Cette histoire, dont la chronologie s'articule en quatre temps, est discontinue.

La Révolution française se caractérise par une crise de la civilité d'Ancien Régime. Ce ne sont pas seulement les usages anciens qui sont condamnés par les révolutionnaires, ce sont les fonctions que remplissaient ces règles (intégration, distinction, hiérarchisation, régulation) qui sont remises en cause. Cette condamnation donne naissance à ce que l'auteur nomme « antipolitesse ». Celle-ci est traduite en actes, notamment par l'imposition du tutoiement ou de l'usage du terme « citoyen ». Avec l'Empire, on assiste au retour des usages anciens et même de l'étiquette, qui devient officielle en 1804.

La période qui s'ouvre avec les succès de Napoléon est le véritable âge d'or de la politesse bourgeoise. Jusqu'en 1914, la politesse marque l'appartenance à une société très hiérarchisée quoique demeurée égalitaire dans ses principes. Cette politesse bourgeoise, vis-à-vis de laquelle l'auteur dissimule à peine une certaine nostalgie, n'est pas un simple retour aux usages d'antan. Centrée sur la famille et l'étiquette intime, elle est une codification parfois rigide dont la complexité des protocoles explique la profusion de manuels de savoir-vivre. De nouveaux usages apparaissent également à cette époque, comme les jours de réception ou le baisemain, fugace marque de politesse d'une époque où règne la phobie du corps et du contact. Pour que ces règles sociales soient respectées, des sanctions sont nécessaires. Mais relever l'impolitesse d'autrui serait en soi contraire aux règles de la bienséance. En pratique, les seuls auxquels on puisse donc imposer une sanction sont les domestiques ou les enfants. Pour le reste, le pardon est habituel dans l'ordre du savoir-vivre et le ridicule, la sanction la plus redoutée... à l'exception du duel, seul règlement envisageable pour sanctionner des atteintes à l'honneur, mais qui n'est possible qu'entre égaux. En fait, note l'auteur, il subsiste à cette époque des « angles morts du savoir-vivre », c'est-à-dire des circonstances et des lieux où l'on échappe aux prescriptions de la politesse. Les bonnes manières bourgeoises restent ainsi étrangères aux paysans qui continuent à se plier à des usages ancestraux. Une évolution est néanmoins perceptible à la fin du xixe siècle : le développement de la presse et des transports, l'influence des instituteurs y sont pour beaucoup. À l'opposé, les souverains peuvent s'affranchir des règles de savoir-vivre, ayant le privilège de les faire évoluer et de donner le ton. Les dandys, qui affectent de transgresser la bienséance, ou les spectateurs des théâtres manifestant un certain laisser-aller qui peut aller jusqu'à la violence, sont d'autres exemples de ce jeu subtil avec les règles de la politesse bourgeoise.

La Grande Guerre marque une profonde rupture dans l'ordre du savoir-vivre. Les usages sont simplifiés de manière drastique, la bourgeoisie n'ayant plus les moyens de maintenir son train de vie et de prolonger les anciennes formes de sociabilité dans un environnement économique et social où sa prééminence est remise en cause. La nécessité du travail s'impose à tous, y compris aux femmes, réduisant ainsi les espaces sociaux où se déployaient les anciennes règles de bienséance. Les avant-gardes culturelles, au premier rang desquelles les surréalistes, tournent volontiers en dérision « l'esprit bourgeois » et contribuent ainsi à faire du déclin de la politesse un lieu commun dans l'entre-deux-guerres. Cette évolution est réellement[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en science politique à l'université de Paris Nanterre

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