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HISTOIRE DE LA RHÉTORIQUE DANS L'EUROPE MODERNE 1450-1950 (dir. M. Fumaroli)

Élaboré dans l'Athènes et la Rome antiques, puis christianisé, le programme civilisateur de la rhétorique, « art et artisanat de la parole » dans les sociétés humaines, fut, en Italie puis dans toute l'Europe, remis à l'honneur à la Renaissance, pour limiter l'empire de la science scolastique. Ainsi, du xve au xxe siècle, l'art antique du discours, transmis par l'enseignement, a-t-il marqué la littérature, l'art, le droit, la religion, voire la science et la philosophie, d'une empreinte « vivante, réflexive, évolutive, controversée » reniée certes au cours du xixe siècle, mais pour mieux resurgir, multiple, à la fin du xxe.

Plutôt qu'un dictionnaire de concepts, le monumental ouvrage dirigé par Marc Fumaroli se veut, comme l'indique son titre, une Histoire de la rhétorique dans l'Europe moderne (P.U.F., Paris, 1999). Sa trame générale est donc chronologique et, jusqu'en 1800, progresse régulièrement par quart de siècle, centré à chaque fois sur quelques personnalités de grande envergure, tels Pétrarque, Valla, Ramus, Vossius, Vico, Addison, Diderot ou Lessing (ont contribué à ces analyses Cesare Vasoli, Perrine Galland-Hallyn, Jean-Claude Margolin, Michel Magnien, Christian Mouchel, Pierre Laurens, Bernard Beugnot, Gilles Declercq, Volker Kapp, Jean-Marie Valentin, Jean-Paul Sermain, Peter France et Michel Delon). Dans cette trame narrative viennent s'inscrire des contributions plus synthétiques qui, sur une période d'un siècle environ, reprennent, dans leur rapport à la rhétorique, des points importants : au xvie siècle, la Réforme protestante (Olivier Millet), la question de la « langue vulgaire » (Jean-Louis Fournel) et les manières de cour (Alain Pons) ; au xviie siècle, les conceptismes (Florence Vuillemier), la « nouvelle science » (Fernand Hallyn), et les arts de la voix (Philippe-Joseph Salazar) ; au xviiie siècle, l'éloquence révolutionnaire (Aurelio Principato) ; au xixe siècle, le romantisme (Arlette Michel), et l'exercice – scolaire puis institutionnel – de la parole publique (Françoise Douay-Soublin).

Très utilement, ce parcours de la rhétorique européenne moderne s'ouvre sur un lumineux rappel des sources antiques et médiévales (Alain Michel) et se clôt sur l'argumentaire menant à la condamnation de la rhétorique à la fin du xixe siècle, ainsi qu'à sa réhabilitation moins d'un siècle plus tard (Antoine Compagnon). À la rhétorique, art de la parole comme lien social, ajustant par l'accord verbal de la persuasion des arrangements provisoires entre humains, ont été opposés au moins cinq autres idéaux : l'objectivité intransigeante de la science qui rend la persuasion inutile ; la singularité radicale de chaque individu qui rend la persuasion impossible ; le livre et la lecture solitaire comme progrès sur l'oral ; la langue nationale de chaque État-nation comme fondement nécessaire et suffisant de la communauté parlante, « peuple » désormais assigné à son territoire ; l'unité fusionnelle dans la foi, le consensus idéologique, comme seul garant de l'identité collective. Or chacune de ces orientations a révélé au xxe siècle ses limites : science sans conscience, sujet saturé d'inconscient, idéologies de massacres en faillite, multimédia et internationalisme ont ainsi rouvert le dossier de la rhétorique, pour le meilleur et pour le pire.

L'entreprise menée à bien par Marc Fumaroli voudrait dénoncer le pire – « le pathos à gros grain » de la communication manipulatrice et mercantile – et promouvoir le meilleur – la quintessence de cette tradition transmise depuis l'Antiquité, et qui met en évidence la place spécifique de l'être parlant – comme le disent les deux textes qui encadrent l'ouvrage. À la qualité de l'édition (supervisée par Christian Mouchel), cette[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en linguistique française à l'université de Provence-Aix-Marseille-I

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