HISTOIRE DES SCIENCES ARABES (dir. R. Rashed, collab. R. Morelon)
Les traditions scientifiques qui se sont développées hors d'Occident ont été mal traitées, des décennies durant, par la grande majorité des historiens. Cet état de fait fut sans doute induit par une représentation globale de l'histoire des sciences qui a longtemps dominé : les activités scientifiques « à proprement parler » n'auraient débuté qu'avec l'Antiquité grecque et seraient entrées dans une période de léthargie au Moyen Âge pour ne reprendre qu'à la Renaissance, en Europe. Ainsi, dans ce monumental théâtre de la marche des idées où les « grands rôles » étaient déjà distribués, les scientifiques qui ont travaillé en Chine, en Inde ou dans le monde arabe se voyaient par avance relégués à des emplois de figurants. En particulier, selon cette représentation, si la vague médiévale de traduction de textes grecs en arabe avait permis de conserver quelques œuvres antiques et avait assuré le relais entre Antiquité grecque et Europe « renaissante », elle n'avait en revanche pas amené les savants arabes à prolonger ces recherches et à développer ces connaissances. Sans doute faut-il lire l'influence de cette conception dans le faible intérêt dont nombre de travaux historiques témoignent, jusqu'à aujourd'hui, envers les activités scientifiques qui se sont menées hors d'Occident.
D'autres travaux pourtant, depuis le xixe siècle, et plus récemment des synthèses sont venus combattre cette représentation trop répandue. Au xxe siècle, Joseph Needham incarne pour beaucoup la thèse selon laquelle on ne saurait penser la naissance de la science moderne en Occident sans tenir compte des contributions que la Chine a pu apporter par l'intermédiaire du monde arabe à un savoir scientifique désormais international. Science and civilisation in China, que Needham a mené de main de maître de 1954 à sa mort (1995), en dresse un panorama. C'est désormais au tour de la science qui s'est écrite entre les viiie et xve siècles en arabe de faire l'objet d'une synthèse : Histoire des sciences arabes (vol. I : « Astronomie, théorique et appliquée » ; vol. II : « Mathématiques et physique » ; vol. III : « Technologies, alchimie et sciences de la vie », Seuil, Paris, 1997), que R. Rashed a dirigé avec la collaboration de R. Morelon, fait appel à un groupe international de spécialistes pour proposer un premier bilan des travaux.
Le lecteur pourra s'y informer sur les activités des savants d'expression arabe en astronomie, en géographie, en mathématiques, en science musicale, en physique, en botanique, en agriculture, en alchimie, en médecine et en technologie. Il pourra également prendre la mesure de l'influence que ces travaux arabes ont exercé sur l'Occident, de langue latine aussi bien qu'hébraïque.
Certains chapitres soulignent plus spécifiquement les formes particulières qu'imprimèrent à telle discipline les intérêts dominants ou les valeurs en cours dans les groupes de la société musulmane qui s'y consacrèrent ou l'utilisèrent. C'est le point de vue qu'adopte André Miquel pour rendre compte des formes prises par le savoir géographique arabe. De même, David King détaille les développements spécifiques que la pratique de la religion musulmane induisit au fil des siècles en astronomie.
Mais, plus généralement, l'ouvrage appelle à une révision des cadres classiques de l'histoire générale des sciences. Illustrons ce point avec l'exemple de l'astronomie. Les chapitres qui lui sont consacrés dégagent, dans les travaux des savants arabes, deux périodes principales. On y voit les astronomes de l'ensemble du monde arabophone entreprendre du ixe au xie siècle, la critique des schémas ptoléméens dont ils avaient hérité. Puis, on peut suivre leurs successeurs dans la mise[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Karine CHEMLA : agrégée de mathématiques, docteur de mathématiques, directrice de recherche au C.N.R.S.
Classification