HISTOIRE DES TREIZE, Honoré de Balzac Fiche de lecture
Une œuvre-charnière
Respectivement dédiés à Berlioz, à Liszt et à Delacroix, les trois récits qui composent l'Histoire des Treize s'inscrivent dans l'imaginaire romantique. Romantisme des amours impossibles et des désordres de la passion. Romantisme de la société secrète et des conspirations souterraines, thèmes qui resteront toujours chers à Balzac : les Treize annoncent L'Envers de l'histoire contemporaine, comme Ferragus préfigure Vautrin. Romantisme paroxystique, enfin, directement inspiré des romans noirs d'Ann Radcliffe, qui imprégnait déjà les premiers romans de l'auteur et donne lieu à des pages qui ne reculent pas devant l'excès, comme l'assassinat de Paquita ou l'empoisonnement de Maulincour : « C'était un homme rapetissé, dissous, arrivé à l'état dans lequel sont ces monstres conservés au Muséum, dans les bocaux où ils flottent dans l'alcool. »
Simultanément, en réemployant des articles publiés par ailleurs, Balzac insère dans ces histoires où prédominent les tête-à-tête et l'analyse psychologique de vastes développements à caractère sociologique ou politique qui les lestent de réalisme. Sans rien perdre de leur romantisme flamboyant, elles changent dès lors de statut et deviennent les premières des Scènes de la vie parisienne : Ferragus s'ouvre sur une classification des rues de la capitale ; La Duchesse de Langeais consacre de longues considérations au faubourg Saint-Germain ou à la Restauration ; les premières pages de La Fille aux yeux d'or sont une description de l'« enfer » parisien. Enfin, parmi beaucoup de novations et d'audaces, tant thématiques – les amours saphiques de Paquita – que narratives – l'admirable retour en arrière sur lequel se construit La Duchesse de Langeais –, Balzac, afin d'assurer un lien cyclique entre les récits et d'illustrer la solidarité des Treize, expérimente pour la première fois le retour des personnages : Ferragus prête ainsi main-forte à Marsay qui lui-même vient en aide à Montriveau. Pour ces raisons, Histoire des Treize, par-delà sa beauté propre et notamment celle de La Duchesse de Langeais, sorte de conte moral dont le pur classicisme de style dément la légende absurde selon laquelle Balzac écrirait mal, présente l'intérêt de montrer un moment charnière dans l'œuvre de l'auteur : celui où le récit cesse d'exister dans sa singularité, pour prendre place dans le vaste ensemble organique que sera La Comédie humaine.
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Écrit par
- Philippe DULAC : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
Classification
Média