HISTOIRE (Domaines et champs) Histoire culturelle
Le mode de questionnement
L'histoire culturelle met en œuvre un mode de questionnement qui pose au préalable la mise au jour des déterminations dont tout objet culturel est le produit.
Étudier une culture, c'est d'abord analyser un système de production et de circulation des biens culturels, plus particulièrement ses conditions techniques. En amont, il importe d'en distinguer les étapes, parfois confondues : découverte ou invention, diffusion, popularisation. En aval, il s'agit de ne pas confondre les effets directs (de matériau, de support) des effets induits de ces innovations : le passage du volumen au codex est un effet direct, alors que la révolution de l'éclairage au xixe siècle, qui rend possible la « mise en scène » théâtrale, est un effet induit.
Le questionnement économique, appliqué aux activités culturelles, commence à se développer, comme en témoigne l'intérêt récent pour les éditeurs (Jean-Yves Mollier), les commanditaires, les mécènes (Francis Haskell, Myriam Chimenes). Il introduit une lecture nécessairement sociale, par le biais des processus de professionnalisation et de spécialisation qui s'y repèrent. Au-delà, ce questionnement tient compte des deux paramètres structurants que sont la conjoncture économique (axe prospérité-crise) et la structure du marché des biens culturels (axe marché-État). Tout comme sa technicisation, la « marchandisation » de la culture est une réalité ancienne : la conquête de l'autonomie du marché des biens culturels est contemporaine de la reconnaissance du « droit d'auteur » à la fin du xviiie siècle.
Une réticence analogue à admettre le rôle des facteurs et des agents supposés a priori extérieurs à la société culturelle se retrouve dès que l'on porte le regard sur l'instance du politique (Philippe Poirrier). La société culturelle ne se limite pas à sa forme institutionnelle, et de multiples formes de l'idéologie interviennent dans son fonctionnement. On distinguera deux types d'implication. Le premier tient dans l'intervention directe des institutions politiques, par la censure mais aussi par la propagande, ou dans l'intervention indirecte par le biais de ce qui sera peu à peu désigné sous le vocable de « politique culturelle ». Le second met en scène l'engagement des acteurs de la société culturelle, qui les transforme ipso facto en « intellectuels » quand ceux-ci interviennent hors du champ culturel, dans le débat civique.
Si déterminées qu'elles soient, les représentations disposent en elles-mêmes de qualités propres. Celles-ci permettent la cristallisation de nouvelles représentations – la culture protestante, par exemple, déterminera des relations spécifiques au livre ou à la morale – ou de structures identificatrices, comme le montrent les études sur la notion de « génération ». La dimension sociale de l'histoire culturelle, développée par Daniel Roche, Roger Chartier ou Dominique Kalifa, se situe dans ce lieu d'inter-détermination. Ainsi l'entrée dans la modernité économique du xviiie siècle a-t-elle produit un lieu économique nouveau, le restaurant, qui a lui-même engendré une pratique culturelle nouvelle (la « gastronomie ») ; autre exemple, un siècle plus tard, le passage d'une société de références rurales à une société de références urbaines entraînera un renversement du critère corporel de la distinction (de l'exaltation du teint pâle à celle du teint « bronzé »), etc.
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Écrit par
- Pascal ORY : professeur à l'université de Paris-I-Sorbonne
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