Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

HISTOIRE (Domaines et champs) Histoire culturelle

Les grands axes de la recherche

Ces deux derniers exemples font mesurer l'amplitude du champ couvert par l'enquête culturaliste : en tant qu'elle est une pratique, l'activité culturelle est susceptible d'un double regard, par la société ou par la sensibilité.

Par société culturelle, on entendra l'ensemble des agents auxquels la société globale a délégué la fonction de représentation, suivant un schéma trifonctionnel production-médiation-réception. Le concept de production est préféré à celui de création, d'abord parce que dans ce groupe ne figure pas seulement l'auteur mais aussi l'interprète ; ensuite parce qu'une création est souvent collective ; enfin parce que c'est dans la proximité de démarche des domaines conventionnellement distingués comme « artistiques » et « scientifiques » que gît la solidarité en profondeur de ces activités. L'étude de la peinture italienne de la Renaissance ou de la physique internationale du xxe siècle ne réside pas seulement dans l'analyse des personnalités et des œuvres, sélectionnées en vertu de critères a posteriori, mais aussi dans la reconstitution des réseaux, des solidarités, des hiérarchies, des hégémonies du milieu considéré, avec leurs processus internes d'élaboration et de légitimation.

Les activités médiatrices s'identifient de la même façon. Aucune société ne se dispense d'édifier un système d'éducation des futurs adultes. Aucune société, non plus, ne peut se priver d'un système d'information, organisé à l'échelle de ses enjeux (le village, le royaume, la planète Internet) et avec les moyens disponibles. Mais l'éducation et l'information n'épuisent pas l'espace de la médiation ; les musées et les bibliothèques sont également des institutions spécialisées dans la diffusion culturelle, analysables en termes aussi bien techniques (par exemple en restituant l'évolution de la forme « exposition ») que politiques (le passage de la mission « bibliothèques » à la mission « lecture publique »).

Avec cette prise en compte du rôle médiateur des acteurs (agents et institutions spécialisées) du champ de la culture, l'historien est invité à poser la question de la réception, qui demeure souvent le point aveugle de la recherche. Par manque de données et d'archives, il est en effet difficile de mesurer une audience, un intérêt ou un goût, de même qu'il est difficile de distinguer la fortune critique de l'inaccessible « opinion publique », de distinguer le public de l'agrégat des usagers ou des clients.

Cette précaution méthodologique vaut encore plus dès que le regard se porte sur la sensibilité culturelle, appréhendée au travers des pratiques à l'œuvre dans le quotidien. Deux grands domaines s'y distinguent. Celui des modes d'appropriation de l'espace concerne aussi bien les pratiques et les représentations liées au corps, tels les comportements démographiques (Philippe Ariès, Emmanuel Todd) que les formes d'appropriation de l'habitat. Le rapport à la sexualité et à l'alimentation (Jean-Louis Flandrin), à l'hygiène (Georges Vigarello), à la vêture ou à la parure n'est que très partiellement l'effet d'un environnement « naturel », comme en témoigne le déplacement incessant des frontières entre le propre et le sale, le pudique et l'obscène, le mangeable et l'immangeable... Par-delà les travaux pionniers d'un Jean-Claude Schmitt reconstituant « la raison des gestes » ou d'un Michel Pastoureau historicisant notre environnement chromatique, ce que le sociologue américain Erving Goffman a vu comme mise en scène de la vie quotidienne laisse encore de larges espaces inexplorés à l'historien.

L'autre grand domaine de pratiques liées[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-I-Sorbonne

Classification

Autres références

  • HISTOIRE (notions de base)

    • Écrit par
    • 3 161 mots

    Tandis que la physique étudie le monde sensible ou la chimie la transformation de la matière, l’histoire (mot issu d’un vocable grec signifiant « enquête ») étudie... l’histoire. La plupart des langues européennes désignent également par un même mot l’étude et l’objet de l’étude. Est-ce là une imperfection...

  • LE RÔLE SOCIAL DE L'HISTORIEN (O. Dumoulin)

    • Écrit par
    • 995 mots

    Au cours de ces dernières décennies, les scènes d'intervention de l'historien se sont multipliées. Sans changer apparemment de costume, l'historien joue de nouveaux rôles : désormais requis comme témoin ou expert sur des scènes sociales – tribunaux, médias, commissions, etc. –, qui ne sont pas a priori...

  • À DISTANCE. NEUF ESSAIS SUR LE POINT DE VUE EN HISTOIRE (C. Ginzburg) - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 032 mots

    À distance. C'est sous ce titre que l'édition française de l'ouvrage de Carlo Ginzburg rassemble les neuf essais qui le composent (Gallimard, Paris, 2001). Le livre est traduit trois ans après sa publication en italien chez Giangiacomo Feltrinelli Edition sous le titre d'Occhiacci...

  • L'ÂGE DES EXTRÊMES. HISTOIRE DU COURT XXe SIÈCLE (E. Hobsbawm)

    • Écrit par
    • 805 mots

    L'Âge des extrêmes (Complexe-Le Monde diplomatique, 1999) constitue le quatrième et dernier tome d'un ensemble d'ouvrages qui ont analysé le destin des sociétés depuis la fin du xviiie siècle. Le premier tome, L'Ère des révolutions, traite de la transformation du monde...

  • AGERON CHARLES-ROBERT (1923-2008)

    • Écrit par
    • 776 mots

    Historien de l'Algérie contemporaine, Charles-Robert Ageron est né le 6 novembre 1923 à Lyon. Il était issu d'une famille de petits patrons d'atelier. Son père dirigeait une modeste entreprise de mécanique. Bachelier en 1941, il s'inscrit à la faculté des lettres de Lyon où l'un de ses professeurs...

  • AGNOTOLOGIE

    • Écrit par
    • 4 992 mots
    • 2 médias

    Le terme « agnotologie » a été introduit par l’historien des sciences Robert N. Proctor (université de Stanford) pour désigner l’étude de l’ignorance et, au-delà de ce sens général, la « production culturelle de l’ignorance ». Si son usage académique semble assez circonscrit à la ...

  • Afficher les 329 références