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HISTOIRE (Domaines et champs) Histoire politique

La critique de l'histoire politique traditionnelle

Toutefois, ce sont moins ces travaux pionniers que l'immense et souvent médiocre production de chroniques, livres académiques ou ouvrages à visée idéologique qui explique que, depuis le début du xxe siècle, cette prédominance de l'histoire politique traditionnelle soit l'objet de critiques à la fois d'ordre idéologique et intellectuel. Est-il légitime de faire l'histoire des dirigeants en oubliant celle des peuples ? Quel est l'intérêt scientifique de décrire les faits et les actes de quelques grands personnages dès lors qu'on s'intéresse à l'histoire des sociétés ? Aussi l'histoire politique est-elle très vivement mise en cause par des courants novateurs qui prônent une autre vision de l'histoire, sans que, pour autant, son statut privilégié dans le monde universitaire soit véritablement discrédité.

Sans doute les critiques adressées à l'histoire politique, dans leurs excès, sont-elles en partie caricaturales et généralisent-elles des faiblesses qui ne concernent pas l'ensemble des travaux de ce domaine. En fait, elles ont pour objectif de légitimer des écoles historiques qui entendent fonder leur audience sur le rejet d'une histoire universitaire accusée de sclérose. L'assaut est double.

Il provient, tout d'abord, de l'historiographie marxiste, dominante dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale. Autour d'historiens comme Camille-Ernest Labrousse, elle conteste l'histoire politique au motif qu'elle ne serait que la description de phénomènes superficiels relevant des superstructures, alors que la véritable explication, la racine des phénomènes observés, se situerait dans l'infrastructure, au niveau des données matérielles, économiques et sociales. Dès lors, l'essentiel des travaux historiques doit s'attacher à l'étude de celles-ci, reléguant l'histoire politique en dernière analyse et la traitant comme une simple conséquence de l'économique et du social. Cette démarche est si profondément ancrée que de nombreuses thèses d'histoire soutenues au début des années 1960 relèvent de ce schéma, quand bien même leurs auteurs ne se réclament pas du marxisme.

Le second assaut provient de l'École des Annales, fondée à la fin des années 1920 par Marc Bloch et Lucien Febvre, et qui connaît, à partir des années 1950, un essor et un prestige considérables. Pour cette école – dont une partie des membres sont d'ailleurs très proches du courant précédent – qui entend envisager sur la longue durée l'évolution des structures profondes des sociétés, qui s'intéresse aux mentalités et aux phénomènes de masse, le politique représente tout ce qu'elle combat, c'est-à-dire le contingent, l'accidentel, le singulier, l'événementiel. L'histoire politique se trouve donc accusée par les fondateurs des Annales, et par leur successeur Fernand Braudel, du péché de superficialité et de non-scientificité par rapport à une démarche qui privilégie un alignement de l'histoire sur les sciences sociales, la sociologie, l'ethnologie, l'anthropologie... En outre, la critique vise spécifiquement l'histoire contemporaine, marginalisée au profit des périodes qui bénéficient d'une plus grande épaisseur chronologique, le Moyen Âge, les Temps modernes et, à la rigueur, le xixe siècle. L'histoire politique connaît alors une éclipse, les chercheurs se détournant d'un domaine peu porteur pour se consacrer à l'histoire économique, sociale, des mentalités, à l'histoire des aspects quotidiens et matériels de la vie des sociétés.

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Écrit par

  • : professeur émérite des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris

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