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HISTOIRE DU PORTRAIT EN CIRE (J. von Schlosser)

Fondée à la fin du xixe siècle par Franz Wickhoff et Aloïs Riegl, l'école viennoise d'histoire de l'art a formé des chercheurs importants : Fritz Saxl, Max Dvořák ou encore Otto Pächt, un de ses derniers représentants. Julius von Schlosser (1866-1938), à la fois conservateur au Kunsthistorisches Museum de Vienne et titulaire d'une chaire à l'université, est lui aussi un des principaux membres de cette école. Le seul ouvrage de Schlosser jusqu'à présent disponible en français était sa somme monumentale sur La Littérature artistique (Kunstliteratur, 1924, trad. franç. Flammarion, 1984). Ce livre, fruit d'une prodigieuse érudition, est une synthèse de tous les écrits qui concernent l'art (qu'il s'agisse d'esthétique, d'histoire ou de textes techniques) depuis le Moyen Âge jusqu'à la fin du xviiie siècle. Avec Histoire du portrait en cire (1911, trad. franç. Macula, 1997), on aborde un autre aspect du travail de Schlosser, celui qui consiste à étudier des objets ou des pratiques réputés a priori mineurs pour leur redonner une épaisseur historique et théorique. Car il ne faut pas distinguer les deux approches chez lui. Son ouvrage se termine d'ailleurs par cette déclaration programmatique : « Historiens du regard, nous sommes tout ensemble des „théoriciens“ et des „sceptiques“, au sens noble et originel de ces mots : nous observons les phénomènes historiques non pour les „juger“ ni pour les „sauver“, mais pour les comprendre dans leur développement. Il semble bien que ce soit la seule manière de pratiquer l'histoire de l'art, dans la mesure où elle se veut une science. » Les objets de l'histoire de l'art sont des objets qu'il faut regarder, autrement dit qui font penser. Schlosser dégagera donc, dans Histoire du portrait en cire, les implications théoriques de ses analyses historiques.

On considère généralement que deux opérations techniques divisent l'histoire de la sculpture jusqu'à la fin du xixe siècle : la taille et le modelage. En montrant l'importance prise par le portrait en cire obtenu par moulage du mort ou du vif, depuis l'Antiquité jusqu'au xviiie siècle, Schlosser exhume donc tout un pan de la sculpture laissé pour compte par l'histoire de l'art et auquel ont collaboré des artistes célèbres ou qui le sont devenus grâce à lui (des masques mortuaires ont été réalisés, aux xve et xvie siècles, par Jean Fouquet, Jean Perréal, François Clouet ; au début du xviiie siècle, Antoine Benoist, qui réalisa le portrait en cire colorée et perruque au naturel de Louis XIV, fut anobli). Dès l'Antiquité, la force de ces objets, conséquence de leur réalisme frappant, tient au pouvoir dont ils sont investis : parce qu'ils paraissent aussi vrais que leurs modèles, ils sont supposés conserver la personnalité de ceux dont ils sont les empreintes. Jusqu'à la fin de l'Antiquité tardive, un culte funèbre fut voué aux imagines, ces cires qui représentaient les images des ancêtres du patriciat romain, souvent conservées dans des armoires et exhibées lors des pompes funèbres. De là l'effet magique dont ils sont investis, qui tient à la question de la ressemblance, c'est-à-dire de la vérité. Dans la Postface de l'ouvrage, Thomas Medicus avance que Schlosser a tranché ce problème de la ressemblance à partir d'une « hypothèse animiste » qui serait à l'origine de la notion même de portrait. On se trouve là en tout cas loin de ce que, au xixe siècle, Rodin pourra dire du moulage : « Le moulage ne reproduit que l'extérieur ; moi je reproduis en outre l'esprit, qui certes fait bien aussi partie de la Nature. » L'analyse de Schlosser montre au contraire que, pour leurs contemporains, la vérité de la personne même est saisie par les empreintes en[...]

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Écrit par

  • : conservateur au musée d'Art moderne et contemporain de Genève

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