HISTOIRE GLOBALE
Partages et convergences
Entre 1950 et 1970, l’histoire sociale a proposé un déplacement vertical du regard historien : une histoire des groupes sociaux ordinaires plutôt que des élites, une histoire par le bas en matière de catégories sociales. Les approches « globales » entreprennent quant à elles un déplacement horizontal au regard des catégories spatiales. Cette mouvance historiographique est marquée par ce souci relationnel, cet intérêt pour ce qui traverse les territoires reconnus et pratiqués aussi bien par les protagonistes que par l’écriture de l’histoire : ensembles géographiques (continents, îles, océans), civilisations, aires culturelles, régions, villes et, particulièrement, pays, nations et États qui ont été les principaux cadres d’écriture de l’histoire depuis qu’elle s’est faite universitaire et spécialiste au xixe siècle. Ces histoires relationnelles se positionnent contre le nationalisme méthodologique, ce biais qui fait de l’État-nation la cellule optimale d’observation et de conceptualisation de la recherche en sciences humaines et sociales. Elles ont également en commun des horizons et des notions.
Des horizons
Trois fronts de questionnement retiennent leur attention. D’abord, travailler sur ce qui s’est déployé par-dessus, entre et à travers ces habituels cadres spatiaux de l’entendement historien permet de saisir des processus ou des protagonistes dont l’existence ou l’importance ne sont apparentes que lorsqu’on choisit l’observation en surplomb ou dans les interstices. Ainsi des chaînes de production des biens et des services, ou encore des formes de commerce informel, du colportage à la contrebande. Cela permet ensuite de comprendre comment l’étranger et le domestique, conçus comme séparés par les protagonistes historiques insérés dans ces entités territoriales, sont de fait enchevêtrés, y compris dans la fabrique du « national », dont la boîte à outils est faite de modèles, de confrontations et d’emprunts. Sur le dernier front, il s’agit d’historiciser les phénomènes d’interconnexion et d’interdépendance entre ces entités, de qualifier l’existence, le périmètre, l’intensité, la robustesse, la durée des interactions et des interdépendances qui en ont éventuellement résulté. Et de distinguer, par exemple, des moments de production et de circulation des sciences et des savoirs : l’intense période de conversation, générée par le frottement entre Europe, Asie, Afrique et Amérique entre le xvie et le xviiie siècle dont sont issues les « nouvelles sciences » de la nature, cède ainsi la place aux xixe et xxe siècles à une configuration asymétrique dans laquelle les formes scientifiques européennes fonctionnent au sein de la mécanique coloniale.
Des mots et des notions
Pour étudier ces questions, des mots et des notions reviennent souvent. En matière de démarche, « comparaison » et « connexion » servent de mots-fanions. De nombreux travaux proposent de densifier les façons de faire de l’histoire comparée en prenant à bord les liens effectifs, historiquement repérables, entre les unités comparées, et reprennent ainsi la part initialement délaissée de la proposition fondatrice de Marc Bloch sur l’histoire comparée (1928). Il n’y a pas là un simple ajout dans la boîte à outils, les connexions en plus des comparaisons. Le propos est bien de mettre en évidence comment les objets que l’on compare ne constituent pas des entités autonomes, mais sont pris dans un tissu de liens dont la prise en compte vient enrichir la réflexion sur les écarts, les différences, les convergences.
Ce qui fait lien, justement, est régulièrement au cœur des recherches et des études : marchandises, objets, personnes, microbes, capitaux, idées, systèmes technologiques, dynamiques économiques, outils de pouvoir. Circulations, relations, intermédiaires, rencontres sont les termes[...]
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Écrit par
- Pierre-Yves SAUNIER : professeur à l'université Laval, Québec (Canada)
Classification
Média
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