HISTOIRE GLOBALE
Discussions et divergences
Ni cette communauté d’origine, de préoccupation et de langage, ni l’abondance des travaux, ni la métaphore de la famille historiographique ne doivent dissimuler les différences entre ces approches relationnelles. Certaines sont flagrantes, tel l’écart de couverture temporelle entre les 13,8 milliards d’années embrassées par la BigHistory – traduite par « grosse » ou « grande histoire » (depuis le big bang) – et la nouvelle histoire globale de l’historien américain Bruce Mazlish, qui proposait en 1998 d’étudier la globalisation à partir des années 1970. Plus intéressantes peut-être, parce que donnant la mesure de la vitalité du domaine, sont les discussions qui concernent les unités spatiales d’analyse et d’écriture utilisées, le rapport aux sources et les objets des récits et des analyses.
Le choix du cadre géographique
Où s’écrivent les histoires relationnelles ? Quelles unités spatiales font-elles intervenir pour l’observation et l’analyse ? Trois débats emboîtés permettent de prendre la mesure des discussions à ce sujet.
Le premier porte sur l’acception du mot « monde ». La planète peut être choisie comme unité d’écriture de l’histoire, avec l’ambition de suivre un phénomène, une marchandise, un groupe humain sur toute son étendue (ou la plus grande possible) et de montrer comment une grande part des sociétés et des espaces est concernée par cet objet d’histoire, voire impliquée dans le système créé autour de lui. Mais « monde » est aussi entendu comme un ensemble de plus petite dimension, dont la cohérence et l’ordre sont générés par et autour d’un phénomène, d’un protagoniste, d’une situation et qui ne coïncide ni avec la planète ni avec l’idée même de grande étendue : le « monde des marchands indiens », par exemple, entendu comme l’ensemble de lieux dans lesquels ces derniers sont établis et avec lesquels leur commerce se déroule. L’histoire mondiale embrasse la première option, à distance des façons de faire de l’histoire connectée ou de l’histoire des transferts culturels plus proches de la seconde.
Cette discussion se double d’une divergence de priorités entre la poursuite de régularités, tendances et motifs planétaires et le souci de s’installer dans une géographie bien plus restreinte pour suivre les acteurs et leurs expériences. L’historien Romain Bertrand a souligné cette opposition d’objectifs et de calibrage spatial entre histoire globale et histoire connectée (« Histoire globale, histoires connectées », in A. Caillé & S. Dufoix dir., Le Tournant global des sciences sociales, 2013). Ce genre de divergence résulte également de conceptions différentes des catégories spatiales utilisées pour observer et analyser les processus historiques. L’une qui conçoit le local, le national, le global comme des niveaux emboîtés, inscrits dans une hiérarchie de causes, de conséquences et d’importances, et que l’analyse historienne parcourt successivement au prisme de cette hiérarchie. L’autre qui considère que ce sont les acteurs, individuels et collectifs, qui contribuent à définir, feuilleter ou agréger ces niveaux avec lesquels ils se cognent, ils composent, ils jouent, ils rusent, comme Cyrus Schayegh l’a montré dans son étude de Bilād al-Šām, la région de la « Grande Syrie », où il suit les redéfinitions mutuelles des relations entre villes, des souverainetés étatiques, des conceptions régionales et des circuits économiques de longue distance entre 1830 et 1945 (The Middle-East and the Making of the Modern World, 2017).
Une autre discussion importante est en gestation. Elle porte non plus sur les entités spatiales de départ, mais sur ce qu’elles deviennent une fois passées au tamis de la préoccupation relationnelle. Mettre l’accent sur ce qui est entre et à travers les entités reconnues par les[...]
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Écrit par
- Pierre-Yves SAUNIER : professeur à l'université Laval, Québec (Canada)
Classification
Média
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