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HISTOIRE (Histoire et historiens) L'écriture de l'histoire

Sortir de l'opposition entre histoire et littérature

Hayden White propose en effet d'analyser l'histoire comme un « artifice littéraire » et développe une « métahistoire » qui considère les récits historiques comme des « fictions verbales » (verbal fictions) dont le régime de vérité ne diffère pas de celui des récits de fiction du roman. Selon lui, préalablement à toute interprétation et à toute écriture, une opération poétique de « préfiguration » construit ce qui va être le sujet du discours historique et les instruments de cette préfiguration sont notamment les quatre tropes de la rhétorique classique (métaphore, métonymie, synecdoque, ironie). La structure profonde du « faire de l'histoire » est donc de nature rhétorique. Le « relativisme rhétorique » et « fictionnaliste » de White inverse ainsi la traditionnelle dépendance de la forme (littéraire), c'est-à-dire de l'écriture, vis-à-vis du contenu (d'où le titre d'un de ses livres The Content of the Form). L'influence des thèses de White a été – selon Peter Novick – très limitée chez les historiens professionnels, mais, en remettant en question la distinction entre histoire et fiction, il a contribué, par les réactions que ses thèses ont provoquées, à reconfigurer un débat qui ne touchait que marginalement les historiens.

Michel de Certeau, Paul Ricœur et Jacques Rancière ont proposé des manières de dépasser le réductionnisme esthétisant des analyses « rhétoriques » de l'écriture de l'histoire, dans le sens d'une mise en adéquation de la dimension littéraire et de la prétention scientifique de l'histoire, mais, contrairement à White, ils maintiennent pour l'histoire un régime de vérité qui lui est propre.

Dans L'Écriture de l'histoire Michel de Certeau analyse en 1975 « l'opération historiographique » comme la « combinaison d'un lieu social, de pratiques scientifiques et d'une écriture ». L'écriture de l'histoire (la « mise en scène scripturaire ») se caractériserait notamment par l'ordre chronologique, la clôture du texte, la prétention à donner un contenu vrai sous la forme d'une narration, la présence massive de la métaphore et par sa structure « dédoublée » ou « feuilletée », dans le sens où le texte historique comprend une partie constituée par l'archive et le document, qui est disséminée dans les citations, les références et les notes. C'est ce matériau référentiel qui introduit un « effet de réel » – selon l'expression de Barthes – dans le discours historique et « produit de la fiabilité ». Certeau propose de reconnaître la « légitimité théorique du récit » en le considérant comme « la forme nécessaire de théorie des pratiques ». Mais l'histoire est scientifique dans le sens où, écrit Certeau, elle établit « un ensemble de règles permettant de contrôler des opérations proportionnées à la production d'objets déterminés ». La caractérisation de l'histoire comme science-fiction, comme entre-deux et discours mixte, vise ainsi à rendre compte de la prétention du discours historique à « donner un contenu vrai (qui relève de la vérifiabilité) mais sous la forme d'une narration ». Ces analyses proposent donc de ne pas séparer l'écriture de l'histoire ni du lieu social qui la « produit » (de ce point de vue, elles engagent une sociologie de la discipline encore peu développée pour l'histoire) ni des pratiques scientifiques spécifiques auxquelles elle est liée.

L'approche « herméneutique », de son côté, insiste sur le « caractère langagier de toute compréhension » (Hans Georg Gadamer) et avance avec Ricœur que « le temps devient humain dans la mesure où il est articulé de manière narrative » ; ce dernier affirme[...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé d'histoire (historiographie et histoire contemporaine) à l'université de Paris

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