- 1. Une actualité brûlante
- 2. Aux origines
- 3. Entre science et propagande
- 4. Une histoire nationale
- 5. L'histoire pour éduquer
- 6. Fabrication de mémoire, thaumaturgie identitaire
- 7. Au tribunal de l'histoire
- 8. Les formes nouvelles de la commande
- 9. Diffusion de la littérature historique et démultiplication des usages
- 10. Bibliographie
HISTOIRE (Histoire et historiens) Les usages sociaux de l'histoire
Pour Marc Bloch, dans Apologie pour l'histoire (1940), l'histoire ne se justifie pas comme une « science du passé » dont la seule vertu serait l'art pour l'art. Il fustige, dans L'Étrange Défaite (1949), le repli des savants dans leur laboratoire hors de la cité et de ses combats. Il fait ainsi écho aux comptes rendus des Annales d'histoire économique et sociale, où son ami Lucien Febvre, alors professeur au Collège de France, n'hésite pas à discréditer l'érudition sans finalité en souhaitant que la société supprime une activité aussi inutile.
Bien que mus par les impératifs de l'objectivité et de la scientificité, les deux historiens n'envisagent pas leur activité en dehors des enjeux sociaux qui marquent leur époque. Dès le premier numéro, les Annales entendent s'adresser aux « hommes d'action ». Pourtant, au sortir de la Première Guerre mondiale, Lucien Febvre avait introduit son cours d'histoire moderne à la faculté des lettres de Strasbourg par une adresse fervente pour la fin d'une « histoire serve », qu'il publiera sous le titre « L'histoire dans le monde en ruines » dans la Revue de synthèse historique en 1920. Ainsi, les pères fondateurs des Annales sont eux aussi confrontés au dilemme des historiens déchirés entre le risque de l'inutilité et la défense de l'autonomie de la discipline.
Une actualité brûlante
Au cours du xxe siècle, la conjonction du relativisme lié au linguistic turn et le recours social élargi à l'histoire et aux historiens au titre de la mémoire ou de l'expertise a fait des usages sociaux de l'histoire l'un des leitmotivs de la réflexion des historiens sur leurs pratiques. Cette situation renvoie à la perte du « noble rêve de l'objectivité » pour reprendre la formule de Peter Novick.
Dans le contexte français, le débat se concentre depuis 2005 sur les « lois mémorielles » : la loi Gayssot du 13 juillet 1990 qui réprime tout acte raciste, antisémite ou xénophobe (article 9 sur la négation des crimes contre l'humanité), la loi du 29 janvier 2001 qui reconnaît le génocide arménien de 1915, la loi Taubira du 21 mai 2001, qui qualifie la traite et l'esclavage comme crimes contre l'humanité, la loi du 23 février 2005 dont l'article 4 imposait, avant son abrogation, l'enseignement du « rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ».
Le législateur empiétant de plus en plus sur les domaines de l'historien, les pétitions et des mouvements organisés par la profession historique, le Comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire (C.V.U.P.H.), la pétition « pour la liberté de l'historien », dénoncent l'instrumentalisation de l'histoire et ses usages non savants.
D'un côté, la demande sociale s'énonce sous deux formes concurrentes : sur le mode subjectif, il s'agit de la recherche de souvenirs communs qui va forger la solidarité et l'identité du groupe, ce que Renan décrivait dans Qu'est-ce qu'une nation ? (1882) comme l'une des conditions d'existence de la nation. De l'autre, cette demande sociale accorde aux historiens la capacité de dévoiler la vérité sur les faits et gestes, sur les crimes et les fautes des acteurs individuels et collectifs du passé.
Il est séduisant de décrire ce phénomène comme l'effet d'une nouveauté absolue et de considérer cette demande sociale et la complaisance ou l'indignation dont les historiens feraient preuve à son égard comme un signe des temps. En vérité, c'est oublier que l'activité historiographique s'est d'emblée avérée indissociable des enjeux du pouvoir et de l'action politique.
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Écrit par
- Olivier LÉVY-DUMOULIN : professeur des Universités en histoire contemporaine, Institut d'études politiques, université de Lille-II
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