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HISTOIRE (Histoire et historiens) Les usages sociaux de l'histoire

Entre science et propagande

La force argumentative et justificatrice de la tradition ou de l'héritage de ce qui a été explique pourquoi le recours à l'histoire est une constante ; les progrès du savoir de la Renaissance et du xixe siècle en renforcent l'attrait. Depuis le xvie siècle, la discipline, consacrée pour sa capacité à discriminer le vrai du faux, a suscité des commandes toujours plus nombreuses au service des forces politiques.

Durant les guerres de religion, le recours aux nouvelles preuves historiques de l'authenticité est permanent. Lorsque les historiens catholiques et protestants s'affrontent, l'argumentaire historique intervient juste après les arguments théologiques. Ainsi, Matthias Flacius Illyricus (1520-1575), l'animateur des Centuries de Magdebourg (Ecclesiastica Historia secundum singulas Centurias, 1559-1574) entend impulser cette histoire collective pour combattre les fondements de la tradition catholique et démontrer les erreurs de protestants concurrents.

À cette science de combat répond l'entreprise du général de la congrégation de l'Oratoire, cardinal et bibliothécaire du Vatican en 1596, Cesar Baronius (1538-1607). Il compose des Annales ecclésiastiques (1588-1593) qui embrassent toute l'histoire de l'Église, depuis les premiers temps jusqu'en 1198. L'ouvrage corrige les erreurs des Centuries de Magdebourg lorsqu'elles mettent en doute la tradition de l'Église. Ainsi, les érudits catholiques démontrent la fausseté de la légende de la papesse Jeanne, invoquée par les érudits protestants pour prouver l'interruption de la tradition du trône de saint Pierre.

Saint Louis - crédits : AKG-images

Saint Louis

Dans la même veine, les ordres savants, mauristes et bollandistes, ont au départ un véritable cahier des charges qui consiste à épurer les vies de saints des éléments apocryphes, afin de les étayer face à l'adversaire protestant ou à la concurrence des ordres rivaux. À la fin du xviie siècle, une véritable commande est passée par Louis XIV à Dom Mabillon afin que ces ordres nourrissent de diplômes authentiques les revendications territoriales de la France. Ces bella diplomatica montrent à quel point la logique des droits historiques commande le recours à l'histoire.

Sans multiplier les exemples au fil des siècles, la création d'un comité d'études en février 1917, par Charles Benoist, à la demande d'Aristide Briand, illustre la pérennité de cette commande politique sur une histoire qui se veut scientifique. Pour les illustres universitaires de cette commission, la plupart historiens, il s'agit de démontrer, avec les armes de la science, documents d'archives à l'appui, que les positions de la France vis-à-vis de l'Allemagne sont fondées en termes historiques. Le mode d'argumentation, l'appareil des notes et les citations précises des sources primaires confortent le statut scientifique de cette prose.

Bien évidemment, cet usage politique des travaux historiques bénéficiant de l'onction scientifique est encore plus évident dans les régimes totalitaires. Au cours des années 1930, la transformation des travaux des historiens soviétiques sur l'expansion impériale russe, de la condamnation à la reconnaissance de l'œuvre « civilisatrice », coïncide trait pour trait avec les besoins idéologiques de l'instauration du socialisme dans un seul pays selon Staline.

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Écrit par

  • : professeur des Universités en histoire contemporaine, Institut d'études politiques, université de Lille-II

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Thucydide - Athènes - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

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