- 1. Une actualité brûlante
- 2. Aux origines
- 3. Entre science et propagande
- 4. Une histoire nationale
- 5. L'histoire pour éduquer
- 6. Fabrication de mémoire, thaumaturgie identitaire
- 7. Au tribunal de l'histoire
- 8. Les formes nouvelles de la commande
- 9. Diffusion de la littérature historique et démultiplication des usages
- 10. Bibliographie
HISTOIRE (Histoire et historiens) Les usages sociaux de l'histoire
Entre science et propagande
La force argumentative et justificatrice de la tradition ou de l'héritage de ce qui a été explique pourquoi le recours à l'histoire est une constante ; les progrès du savoir de la Renaissance et du xixe siècle en renforcent l'attrait. Depuis le xvie siècle, la discipline, consacrée pour sa capacité à discriminer le vrai du faux, a suscité des commandes toujours plus nombreuses au service des forces politiques.
Durant les guerres de religion, le recours aux nouvelles preuves historiques de l'authenticité est permanent. Lorsque les historiens catholiques et protestants s'affrontent, l'argumentaire historique intervient juste après les arguments théologiques. Ainsi, Matthias Flacius Illyricus (1520-1575), l'animateur des Centuries de Magdebourg (Ecclesiastica Historia secundum singulas Centurias, 1559-1574) entend impulser cette histoire collective pour combattre les fondements de la tradition catholique et démontrer les erreurs de protestants concurrents.
À cette science de combat répond l'entreprise du général de la congrégation de l'Oratoire, cardinal et bibliothécaire du Vatican en 1596, Cesar Baronius (1538-1607). Il compose des Annales ecclésiastiques (1588-1593) qui embrassent toute l'histoire de l'Église, depuis les premiers temps jusqu'en 1198. L'ouvrage corrige les erreurs des Centuries de Magdebourg lorsqu'elles mettent en doute la tradition de l'Église. Ainsi, les érudits catholiques démontrent la fausseté de la légende de la papesse Jeanne, invoquée par les érudits protestants pour prouver l'interruption de la tradition du trône de saint Pierre.
Dans la même veine, les ordres savants, mauristes et bollandistes, ont au départ un véritable cahier des charges qui consiste à épurer les vies de saints des éléments apocryphes, afin de les étayer face à l'adversaire protestant ou à la concurrence des ordres rivaux. À la fin du xviie siècle, une véritable commande est passée par Louis XIV à Dom Mabillon afin que ces ordres nourrissent de diplômes authentiques les revendications territoriales de la France. Ces bella diplomatica montrent à quel point la logique des droits historiques commande le recours à l'histoire.
Sans multiplier les exemples au fil des siècles, la création d'un comité d'études en février 1917, par Charles Benoist, à la demande d'Aristide Briand, illustre la pérennité de cette commande politique sur une histoire qui se veut scientifique. Pour les illustres universitaires de cette commission, la plupart historiens, il s'agit de démontrer, avec les armes de la science, documents d'archives à l'appui, que les positions de la France vis-à-vis de l'Allemagne sont fondées en termes historiques. Le mode d'argumentation, l'appareil des notes et les citations précises des sources primaires confortent le statut scientifique de cette prose.
Bien évidemment, cet usage politique des travaux historiques bénéficiant de l'onction scientifique est encore plus évident dans les régimes totalitaires. Au cours des années 1930, la transformation des travaux des historiens soviétiques sur l'expansion impériale russe, de la condamnation à la reconnaissance de l'œuvre « civilisatrice », coïncide trait pour trait avec les besoins idéologiques de l'instauration du socialisme dans un seul pays selon Staline.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Olivier LÉVY-DUMOULIN : professeur des Universités en histoire contemporaine, Institut d'études politiques, université de Lille-II
Classification
Médias
Autres références
-
HISTOIRE (notions de base)
- Écrit par Philippe GRANAROLO
- 3 161 mots
Tandis que la physique étudie le monde sensible ou la chimie la transformation de la matière, l’histoire (mot issu d’un vocable grec signifiant « enquête ») étudie... l’histoire. La plupart des langues européennes désignent également par un même mot l’étude et l’objet de l’étude. Est-ce là une imperfection...
-
LE RÔLE SOCIAL DE L'HISTORIEN (O. Dumoulin)
- Écrit par Bertrand MÜLLER
- 995 mots
Au cours de ces dernières décennies, les scènes d'intervention de l'historien se sont multipliées. Sans changer apparemment de costume, l'historien joue de nouveaux rôles : désormais requis comme témoin ou expert sur des scènes sociales – tribunaux, médias, commissions, etc. –, qui ne sont pas a priori...
-
À DISTANCE. NEUF ESSAIS SUR LE POINT DE VUE EN HISTOIRE (C. Ginzburg) - Fiche de lecture
- Écrit par François-René MARTIN
- 1 032 mots
À distance. C'est sous ce titre que l'édition française de l'ouvrage de Carlo Ginzburg rassemble les neuf essais qui le composent (Gallimard, Paris, 2001). Le livre est traduit trois ans après sa publication en italien chez Giangiacomo Feltrinelli Edition sous le titre d'Occhiacci...
-
L'ÂGE DES EXTRÊMES. HISTOIRE DU COURT XXe SIÈCLE (E. Hobsbawm)
- Écrit par Marc FERRO
- 805 mots
L'Âge des extrêmes (Complexe-Le Monde diplomatique, 1999) constitue le quatrième et dernier tome d'un ensemble d'ouvrages qui ont analysé le destin des sociétés depuis la fin du xviiie siècle. Le premier tome, L'Ère des révolutions, traite de la transformation du monde...
-
AGERON CHARLES-ROBERT (1923-2008)
- Écrit par Benjamin STORA
- 776 mots
Historien de l'Algérie contemporaine, Charles-Robert Ageron est né le 6 novembre 1923 à Lyon. Il était issu d'une famille de petits patrons d'atelier. Son père dirigeait une modeste entreprise de mécanique. Bachelier en 1941, il s'inscrit à la faculté des lettres de Lyon où l'un de ses professeurs...
-
AGNOTOLOGIE
- Écrit par Mathias GIREL
- 4 992 mots
- 2 médias
Le terme « agnotologie » a été introduit par l’historien des sciences Robert N. Proctor (université de Stanford) pour désigner l’étude de l’ignorance et, au-delà de ce sens général, la « production culturelle de l’ignorance ». Si son usage académique semble assez circonscrit à la ...
- Afficher les 329 références