- 1. Une actualité brûlante
- 2. Aux origines
- 3. Entre science et propagande
- 4. Une histoire nationale
- 5. L'histoire pour éduquer
- 6. Fabrication de mémoire, thaumaturgie identitaire
- 7. Au tribunal de l'histoire
- 8. Les formes nouvelles de la commande
- 9. Diffusion de la littérature historique et démultiplication des usages
- 10. Bibliographie
HISTOIRE (Histoire et historiens) Les usages sociaux de l'histoire
Au tribunal de l'histoire
Déjà, les historiens dreyfusards jouent un rôle essentiel pour démontrer l'inanité des preuves matérielles contre Dreyfus au cours du procès Zola en 1898, puis devant la cour de Rennes lors de la révision du procès l'année suivante.
Depuis l'affaire Dreyfus, la judiciarisation croissante des rapports sociaux et l'appel systématique aux experts ont préparé l'entrée des historiens dans les prétoires. Rares et mal reconnus avant les années 1980, ces recours à l'expert historien se multiplient avec la remise en cause d'un passé lointain dont les témoins disparaissent. L'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité en France, le caractère inaliénable de tous les objets et restes cultuels dans les tombes amérindiennes aux États-Unis (affirmé par le Native American Graves Protection and Repatriation Act voté en 1990), ou les conséquences de la réactivation des traités les plus anciens accordés aux peuples autochtones par le rapatriement de la Constitution canadienne en 1982 favorisent ce recours à « l'historien expert ».
Dans ce contexte qui articule les interrogations identitaires de sociétés en rupture avec le passé et la judiciarisation des rapports sociaux, les historiens sont convoqués dans un rôle d'expert qui ne se limite pas à l'établissement des faits. En France, leur statut incertain, « expert » privé de la communication du dossier d'instruction, limite leur action à éclairer le jury d'assise sur le contexte (comme l'ont montré les procès Touvier et Papon) ; aux États-Unis et au Canada l'intervention sur les faits, comme expert-témoin (expert wittness) se fait rapidement interprétatif.
Curieusement, cette intervention dans l'arène judiciaire renvoie l'historien à un rôle récusé par beaucoup d'entre eux, celui de juge. Pourtant, les historiens acceptent de s'engager d'eux-mêmes sur le terrain judiciaire. Pierre Vidal-Naquet se reconnaît dans ce droit d'intervention dont il s'empare pour user des armes de la critique historique, en particulier en 1958 avec L'Affaire Audin. Afin d'établir l'innocence de son ami Adriano Sofri, accusé du meurtre d'un commissaire de police milanais, Carlo Ginzburg invoque son expérience professionnelle, acquise à la lecture des procès d'inquisition du xvie et xviie siècles, pour démonter l'argumentation des attendus du jugement.
Dans les deux cas de figure, l'intervention partisane repose d'abord sur l'affirmation de la démarche historienne.
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Écrit par
- Olivier LÉVY-DUMOULIN : professeur des Universités en histoire contemporaine, Institut d'études politiques, université de Lille-II
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Médias
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