- 1. Les sources de l'histoire dans l'Antiquité
- 2. Moyen Âge : l'autorité de l'Église face à la critique des sources
- 3. La naissance d'une critique érudite (XVIe-XVIIIe siècles)
- 4. Sources et méthodes du « siècle de l'histoire » : le XIXe siècle
- 5. La « grande transformation » des sources et des méthodes : le XXe siècle
- 6. Bibliographie
HISTOIRE (Histoire et historiens) Sources et méthodes de l'histoire
La « grande transformation » des sources et des méthodes : le XXe siècle
La profonde évolution qui bouleverse les problématiques, les objets et les démarches de l'histoire au xxe siècle touche directement les sources et les méthodes. L'articulation entre les deux s'est transformée dans les dernières décennies du xxe siècle face aux changements d'approche sur les sources légitimes et de traitement, de l'unique à la série, face à la redécouverte du regard et de l'oralité, et au tournant épistémologique sur les méthodes d'interprétation du témoignage et des traces.
Quand compter devient interpréter : des masses au « singulier pluriel »
Ernest Renan affirmait qu'un nouvel horizon de questions suscite de nouvelles sources et, par conséquent, de nouvelles méthodes. Parmi les mutations de l'histoire au xxe siècle, la simultanéité de l'évolution des sources et des méthodes et de l'émergence d'une histoire quantitative de l'économie est frappante.
Parallèlement aux entreprises étrangères animées par le Comité scientifique international pour l'histoire des prix (1930), le travail de Camille-Ernest Labrousse (1895-1988) marque l'histoire économique française. Labrousse décide de travailler à partir des prix de la mercuriale enregistrés sur les marchés par les représentants des intendants. Ces sources officielles et publiques présentent, toutefois, aux yeux de l'érudition classique, le défaut de ne pas être de « vrais prix », originaux et authentiques. Labrousse démontre qu'en termes de méthode historique traditionnelle, la mercuriale est la source la plus fiable. Mais les œuvres majeures de l'auteur, Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au XVIIIe siècle (1933), et La Crise de l'économie française à la fin de l'Ancien Régime et au début de la Révolution (1944), s'appuient avant tout sur une autre méthode : la critique en termes de cohérence des séries entre elles et de résistances aux tests statistiques. La valeur de la série documentaire vaut davantage que chacun des éléments d'information isolés. Comme l'a noté l'historien François Furet, au terme de cinquante ans de recours croissant à des sources sérielles, a eu lieu un changement associé de la nature et des méthodes de critique de celles-ci, ainsi que de leur mise en œuvre et de leur interprétation.
Amorcé avec l'histoire des prix, le mouvement se poursuit avec l'histoire des productions, des mouvements sociaux (Michelle Perrot), de la pratique et des convictions religieuses (Michel Vovelle), de la lecture (Roger Chartier) et, bien sûr, de la démographie historique. Dans chacun de ces cas, des documents sont détournés de leur usage social. Ainsi, par le biais de la méthode de reconstitution des familles (Louis Henry), les registres paroissiaux deviennent un instrument pour saisir les choix des conjoints, les taux de mortalité, de natalité et la fécondité d'Ancien Régime. Puis, très vite, ils permettent, en décomptant la proportion de parents ou de témoins signataires des actes, d'ouvrir le champ à une histoire de la lecture et de l'écriture (F. Furet & J. Ozouf dir., Lire et écrire. L'alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry, 1977).
À chaque fois, la source fait l'objet d'une transformation qui permet l'élaboration d'indicateurs statistiques comparables et l'élaboration de « métasources ». En effet, l'unicité de la source est transmutée en fragment d'une série et les méthodes critiques reposent d'abord sur la cohérence des mouvements qui affectent les courbes ; ainsi, Labrousse fait-il du parallélisme des courbes des céréales nobles (froment) et pauvres (seigle) un indice de fiabilité des statistiques. En l'occurrence, le renouvellement des objets d'analyse a entraîné un changement de sources dont[...]
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Écrit par
- Olivier LÉVY-DUMOULIN : professeur des Universités en histoire contemporaine, Institut d'études politiques, université de Lille-II
Classification
Médias
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