HISTOIRE MONDIALE DE LA FRANCE (dir. P. Boucheron) Fiche de lecture
Débats et polémiques
Conjuguant « l’art du récit et l’exigence critique », le livre réussit donc à renouveler ce genre pourtant très fréquenté qu’est l’« Histoire de France ». Ce pays, tout comme les autres, y apparaît pour ce qu’il est : le produit d’acteurs, d’événements et d’influences venus du monde entier tout autant qu’une nation au destin remarquable. Comment comprendre alors la polémique qu’il a suscitée ? Le contexte – l’ouvrage est publié en pleine campagne pour l’élection présidentielle et ne se cache pas d’être « un livre collectif d’intervention » – est évidemment déterminant. La question de « l’identité nationale » occupe depuis plusieurs années le discours politique, l’enseignement de l’histoire est un sujet sensible et plusieurs candidats à la présidence de la République, notamment François Fillon, font du retour au « roman national » un thème de campagne. En suggérant une autre façon d’écrire l’histoire de France, le livre prend ouvertement parti dans ce débat. La réaction des plus conservateurs ne se fait pas attendre. Le journaliste Éric Zemmour dénonce dans Le Figaro une tentative de dissolution du pays dans une histoire sans races, sans peuple, sans nation, tandis que l’essayiste Dimitri Casali parle d’un « bréviaire de la repentance et de la soumission ». Autre contempteur du livre, l’académicien Alain Finkielkraut accuse ses auteurs de se faire les « fossoyeurs du grand héritage français ».
La réception est à l’inverse favorable dans le milieu universitaire, qui se réjouit d’une initiative qui dépoussière l’objet « Histoire de France » et l’ouvre aux problématiques actuelles. Quelques spécialistes pointent bien sûr un oubli ici ou là, ou une date un peu trop provocante, mais la profession y voit plutôt une entreprise « neuve et de talent » (Jean-Pierre Rioux), « a Buffet of French History », comme l’écrit Robert Darnton dans la New York Review of Books. Pourtant, c’est d’un autre historien, Pierre Nora, le maître d’œuvre des Lieux de mémoire, qu’est venue la critique la plus virulente. Dans une tribune publiée dans L’Obs, il a durement reproché à l’ouvrage sa dimension politique, référence selon lui trop appuyée à la France des migrants et des sans-papiers.
L’été a apaisé le débat et le livre a pris place dans les rayonnages des bibliothèques. Qu’il soit témoin d’un moment de l’histoire politique du pays est une évidence. Qu’il le soit aussi d’un moment de l’historiographie est tout aussi clair. Un tel élargissement des questionnements s’accorde aux attentes et aux nécessités de l’époque. La démarche n’en comporte pas moins des embûches. À embrasser trop large, on prend le risque d’oublier l’ordinaire de tous ceux qui vécurent enclavés, ce qui fut le sort de millions d’habitants de ce pays, d’oublier aussi les dynamiques et les scènes locales. L’ouvrage montre cependant qu’il est encore possible, aujourd’hui et donc demain, d’écrire l’histoire de France.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Dominique KALIFA : professeur à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Classification