HISTOIRE (notions de base)
Tandis que la physique étudie le monde sensible ou la chimie la transformation de la matière, l’histoire (mot issu d’un vocable grec signifiant « enquête ») étudie... l’histoire. La plupart des langues européennes désignent également par un même mot l’étude et l’objet de l’étude. Est-ce là une imperfection de nos langues ? De nombreux philosophes pensent le contraire : le lien entre l’étude du temps historique et l’objet de cette étude est si étroit que l’unicité du mot est sans doute bien fondée.
On peut franchir un pas supplémentaire en observant que les hommes n’ont eu conscience du temps historique qu’à partir du moment où ils ont su écrire l’histoire de leur peuple, rapporter les grands événements qui ont marqué leurs contemporains, comme l’a fait le Grec Thucydide (ve siècle av. J.-C.) avec son Histoire de la guerre du Péloponnèse.
Avant l’histoire écrite, l’ensemble des populations dites « archaïques » ont toutes fait l’expérience d’un temps cyclique. La question de la naissance de l’histoire en tant que discipline est donc essentielle à la compréhension de la discipline elle-même. Pourquoi les humains ont-ils décidé, à un moment (récent) de leur parcours, de conserver la mémoire des événements ? Quelles modifications se sont donc opérées dans l’esprit humain pour qu’une telle évolution puisse se produire ?
Enfin, deux millénaires à peine après la naissance de l’histoire en tant que récit particulier, des objections majeures ont été adressées aux postulats qui rendaient possibles ce récit. L’idée de progrès a fini par être considérée comme un mythe, la notion d’événement a été contestée, l’existence d’un point de vue centralisateur a été dénoncée. Tracer les grandes lignes d’une « histoire de l’histoire » s’avère donc nécessaire.
La pensée cyclique, avant la pensée historique
L’anthropologue Claude Lévi-Strauss (1908-2009) oppose les sociétés « froides » aux sociétés « chaudes ». Les premières cherchent à annuler les effets du temps afin d’assurer « leur équilibre et leur continuité ». Les secondes intériorisent le mouvement historique dont elles font « le moteur de leur développement ». Durant des millénaires, les hommes ont tourné le dos à l’avenir, les yeux rivés sur le temps des origines. Dans ces sociétés souvent qualifiées de « traditionnelles » – aussi différentes qu’elles soient les unes des autres –, on remarque une constante, mise en évidence par le philosophe des religions Mircea Eliade (1907-1986) dans son essai Le Mythe de l’éternel retour : une « révolte contre le temps concret, historique » et une « nostalgie d’un retour périodique au temps mythique des origines, au Grand Temps ».
Ce sont les Hébreux, qui ont accepté les premiers, pour des raisons religieuses, de se situer dans une nouvelle temporalité, celle du temps historique, jetant ainsi un pont entre Création et Jugement dernier, mais ils ne l’ont fait qu’avec réticence. En effet, une telle temporalité est beaucoup plus inconfortable qu’un temps cyclique : dans ce dernier, rien de nouveau ne peut apparaître, chaque situation n’étant que la répétition d’un événement primordial. Dans le temps historique, au contraire, chaque événement est unique, aucune comparaison n’est possible avec un événement antérieur, et l’homme perd tous ses repères. Il fallut presque deux millénaires pour que le temps historique soit définitivement accepté.
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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