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HISTOIRE (notions de base)

L’histoire, une science ?

Une fois conscients de se situer dans une histoire où des événements uniques se déroulent, les hommes eurent naturellement le désir de conserver la mémoire de ce qui ne se reproduira plus. La volonté de préserver les grands événements de l’oubli a donc été un premier moteur des récits historiques. Le Grec Hérodote (480-425 av. J.-C.) est souvent considéré comme le premier à avoir répondu à cette préoccupation en écrivant son Enquête(ou Histoires). Très vite se posa la question de savoir s’il suffisait de garder une trace des événements, ou s’il fallait aussi se lancer dans une explication des choses. Quant aux faits rapportés par l’historien, étaient-ils des éléments donnés qu’il se contentait d’enregistrer, ou bien n’existait-il pas toute une part de construction – donc d’interprétation – dans le récit qu’il proposait ?

Il n’est donc pas abusif d’affirmer que les grandes questions qui sont au cœur des philosophies modernes de l’histoire étaient inscrites en filigrane dans les premiers récits que nous ont laissés les historiens. Mais d’Hérodote jusqu’au xviiie siècle, on ne s’inquiéta guère de la « scientificité » de la discipline historique. Ce n’est qu’après la naissance des sciences objectives que se posa la question de la place de l’histoire au sein du savoir humain. Peut-elle être partie intégrante de ce savoir objectif ? Ou une part incompressible de subjectivité demeure-t-elle présente dans les récits des historiens ? L’idéologie scientiste du xixe siècle fut tentée d’intégrer l’histoire au savoir objectif. Nul n’alla plus loin en ce sens que Fustel de Coulanges (1830-1889) qui identifia les faits observés par l’historien aux faits observés par le chimiste : « L’histoire est une science ; elle n’imagine pas, elle voit seulement [...] elle consiste comme toute science à constater les faits, à les analyser, à les approcher, à en marquer le lieu [...] L’historien cherche et atteint les faits par l’observation minutieuse des textes comme le chimiste trouve les siens dans des expériences minutieusement contrôlées » (Questions historiques, 1893).

En opposition à Fustel de Coulanges, de nombreux savants et philosophes insistèrent sur le caractère unique (non répétitif) des événements historiques qui s’oppose radicalement à la réitération des expériences dans le domaine des sciences de la nature. Évoquant les déplacements de Jean sans Terre, Henri Poincaré (1854-1912) met dans la bouche du physicien cette formule qu’il oppose à l’admiration de l’historien : « Jean sans Terre a passé par ici, mais cela m’est bien égal puisqu’il n’y passera plus. » Aucune expérimentation n’étant possible sur un fait unique, l’histoire ne saurait prendre place au sein du savoir objectif.

Peut-on pour autant dénier toute scientificité à l’histoire ? Sans doute pas. L’historien sélectionne les faits, les analyse, les soumet à un travail critique pour lequel il mobilise toutes les techniques que les sciences mettent à sa disposition (datation et confrontation des archives, analyse chimique des supports, et même recours aux tests ADN pour acquérir une certitude quant à l’identité des protagonistes). L’historien français Jacques Le Goff (1924-2014) est l’auteur d’une jolie formule précisant en quoi le travail de l’historien est scientifique : « L’histoire n’est pas une science, elle est l’ensemble des sciences tournées vers le passé. »

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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