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HISTOIRE (notions de base)

Sens et progrès

À la fin du xviiie siècle et tout au long du xixe siècle, les philosophes s’efforcèrent de rassembler les récits des historiens pour accéder à une vision globale du temps historique. Kant, auteur de nombreux opuscules sur ce thème, a sans doute influencé considérablement les grandes philosophies de l’histoire, et au premier chef celle de G. W. F. Hegel (1770-1831). Il est le premier à avoir estimé que la condition nécessaire pour que s’écrive une histoire de l’humanité est l’hypothèse d’une orientation du parcours humain. Le mot « sens » a deux connotations, celle de signification et celle de direction. Or peut-il y avoir signification s’il n’y a pas direction, orientation ? Kant répond négativement, considérant que nous sommes contraints d’« envisager l’histoire de l’espèce humaine en gros comme la réalisation d’un plan caché de la nature pour produire une constitution politique parfaite » (Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, 1784).

Il appartiendra à Hegel de fournir un socle métaphysique aux intuitions de Kant. Pour l’auteur de La Raison dans l’histoire, le philosophe n’introduit pas arbitrairement l’hypothèse d’un sens de l’histoire, il prend conscience qu’une histoire qui se réduirait à une suite de hasards et qui ne serait pas conduite par la raison serait impensable et tout simplement impossible à écrire. Dès La Phénoménologie de l’esprit (1807), Hegel décrit le mouvement dialectique qui donne son dynamisme au temps humain. Par « dialectique », il entend le contraire d’une causalité linéaire et suppose que l’effet rejaillit sur sa cause et la transforme à son tour. Les forces en présence dans l’histoire interagissent et rétroagissent les unes sur les autres. Par l’entremise de la fable qui oppose le Maître à l’Esclave, Hegel illustre la façon dont évoluent les relations entre les consciences. Il y a un sens de l’histoire, qui part d’une lutte à mort pour aboutir à une reconnaissance réciproque. À travers les conflits, un monde rationnel prend forme peu à peu dans le monde. Une reconnaissance non réciproque entre les hommes serait contradictoire : j’ai besoin de reconnaître comme libre celui qui me reconnaît lui-même comme libre. La liberté, privilège d’une minorité d’hommes dans les sociétés antiques, est destinée selon Hegel à s’étendre planétairement et ne peut pas ne pas s’universaliser.

C’est une histoire progressive et européocentrique qu’ont dessinée les grands philosophes de l’histoire tout au long du xixe siècle, à une époque où l’Occident ne doutait pas qu’il avait pour mission de guider le sort de l’humanité entière, convaincu que son modèle de civilisation avait vocation à s’étendre planétairement. Même les philosophes révolutionnaires, ainsi Karl Marx (1818-1883), qui se sont livrés à une critique radicale de notre société, ont adhéré tout autant que leurs adversaires à l’hypothèse d’une mondialisation de l’histoire. Là où Hegel mettait l’accent sur la dimension spirituelle de la dynamique historique, Marx enracinait cette dynamique dans une logique matérialiste. Alors que le faible développement de leurs forces productives laissait les sociétés d’autrefois dans un état d’isolement et d’autarcie, la révolution industrielle bourgeoise a fait naître un marché mondial qui rend les nations et les hommes de plus en plus interdépendants. Cette « solidarité », dont le capitalisme fait surtout apparaître les aspects négatifs (concurrence, crises, dépendance, etc.), ne serait-elle pas en même temps la condition d’une universalisation planétaire menant à une fin de l’histoire après des millénaires de luttes et de conflits ? Tel était l’espoir de Marx.

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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