HISTOIRE (notions de base)
L’histoire en crise
Dès le xixe siècle, cependant, cette histoire orientée et en progrès a rencontré de vives oppositions. Déjà contestable quand elle interprète le passé de l’humanité, la notion de progrès devient un véritable pari quand elle se projette en direction de l’avenir. Qui pourrait me garantir que demain sera meilleur qu’aujourd’hui ? Et n’existe-t-il pas une dimension religieuse dans l’idée de progrès ? Antoine-Augustin Cournot (1801-1877) en était convaincu, lui qui écrivait qu’« aucune idée, parmi celles qui se réfèrent à l’ordre des faits naturels, ne tient de plus près à la famille des idées religieuses que l’idée de progrès, et n’est plus propre à devenir le principe d’une foi religieuse pour ceux qui n’en ont plus d’autre ». Le progrès serait en quelque sorte la religion des hommes sans religion, l’ultime foi possible d’une humanité ayant perdu les illusions qu’apportaient les anciennes croyances.
Une autre critique allait voir le jour avec Friedrich Nietzsche (1804-1900), qui insiste sur notre gigantesque ignorance du passé. Quand nous prétendons écrire l’histoire de l’humanité, nous nous appuyons sur les quelques millénaires que nous connaissons à peu près, alors que la période combien plus considérable de la préhistoire, qui nous a modifiés infiniment plus que les derniers millénaires, nous reste en partie inconnue. Facteur aggravant : nous négligeons le fait que c’est aussi notre faculté de connaître qui s’est modifiée au cours des millénaires, alors que nous nous accrochons à l’illusion de la présence d’un observateur stable à travers le temps. Dans Humain, trop humain (1878), Nietzsche qualifie ces ignorances de « péché originel des philosophes » : « Le manque de sens historique est le péché originel de tous les philosophes [...] Ils ne veulent pas comprendre que l’homme est le résultat d’un devenir, que la faculté de connaître l’est aussi [...] Or tout l’essentiel de l’évolution humaine s’est déroulé dans la nuit des temps, bien avant ces quatre mille ans que nous connaissons à peu près ; l’homme n’a sans doute plus changé beaucoup au cours de ceux-ci. »
Doutant de l’objectivité des faits, ne croyant plus au progrès, remettant en cause l’existence d’un point de vue centralisateur à partir duquel serait bâti le récit historique, une « nouvelle histoire » a vu le jour. Elle a pris naissance dans la revue des Annales d’histoire économique et sociale, créée en 1929 par Marc Bloch (1886-1944) et Lucien Febvre (1878-1956), instigateurs d’une révolution parfois comparée à celle que connut la physique à la fin du xixe siècle quand elle renonça au strict déterminisme au profit d’un déterminisme statistique. Cette « nouvelle histoire » est une histoire plurielle, plus qualitative que quantitative, dont l’objet et les méthodes sont éclatés, et qui se méfie par-dessus tout des « grands récits » propres aux philosophies de l’histoire. Comme s’y est employé en 1975 Emmanuel Le Roy Ladurie, elle peut ainsi faire le choix de décrire sous tous ses aspects – de l’économie aux rituels sociaux – la vie quotidienne du village occitan de Montaillou, plutôt que d’interroger les grandes dates de l’histoire médiévale.
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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