HISTOIRES DE LA NUIT (L. Mauvignier) Fiche de lecture
Un lieu clos, une longue soirée, sept personnages, une action centrale. Ce pourrait être une pièce de théâtre, autre genre pratiqué par Laurent Mauvignier. Mais Histoires de la nuit (éditions de Minuit, 2020), roman à suspens, de ceux que l’on ne peut lâcher en chemin, est d’abord pensé comme un film, avec ses changements de plans et d’espaces.
Patrice Bergogne, son personnage central, est un éleveur qui, seul de sa fratrie, a voulu conserver l’exploitation de son père. Il a épousé Marion, une femme apparemment sans histoire, après l’avoir rencontrée sur un site Internet. Il est le père d’Ida, dont il s’occupe beaucoup. Dans ce hameau de « L’Écart-des-Trois–Filles-Seules » près de La Bassée, habite aussi Christine, une artiste peintre. Elle a quitté Paris, ses mondanités et ses artifices. Elle a installé là son atelier, défaisant les cloisons, comme si rien ne devait séparer sa recherche artistique de sa vie quotidienne. Une troisième maison inoccupée, à vendre, jouera un rôle crucial dans l’intrigue.
On s’apprête à célébrer l’anniversaire de Marion. Les préparatifs suscitent une certaine excitation et, bien que ses rapports avec la mère d’Ida ne soient pas harmonieux, « Tatie Christine », ainsi nommée par l’enfant, s’active comme Bergogne parti en ville pour les derniers achats, dont le cadeau pour son épouse.
Un certain trouble s’insinue dès le début du roman : Christine reçoit des lettres anonymes ; la gendarmerie reste impuissante. C’est une alerte, que d’autres signes suivront, jusqu’à l’arrivée d’un trio constitué de Bègue, Christophe et Denis, trois frères venus régler dans le hameau un vieux compte. Impossible d’en dire plus sans déflorer ce qui constitue à la fois une surprise et une confirmation : le thriller est un genre qui donne une très grande liberté pour dire le présent et la phrase sinueuse de Laurent Mauvignier, riche en informations diverses, capable de mettre en relief la sensation comme la pensée, les actions réelles autant qu’inabouties, cette phrase est l’outil qui permet au mieux de retarder la révélation, de rendre explosive la charge portée par la fin. Dans ce roman, « l’efficacité » du genre tient moins aux actes qu’au foisonnant récit intérieur. Brassant les temps, mêlant les hypothèses à ce qui se réalise, la phrase est à la fois tension et action. La reprise, le ressassement d’un « oui », affirmation d’une volonté ou aveu, les échos que prend une expression d’apparence figée portent jusqu’à l’excès final, quand la violence longtemps contenue se déchaîne soudain.
Un conte noir
Histoires de la nuit est un conte terrifiant qui s’entend autant qu’il se lit. Conte : le mot n’est pas indifférent. Chaque soir, Bergogne ou Marion en lit un à Ida, tiré d’un recueil portant ce titre. L’enfant aime ces récits. Lorsque les trois intrus prennent possession de l’espace, les conseils que le père donne à sa fille rappellent ce que l’on murmure aux héros : s’enfuir, se cacher, trouver refuge auprès d’une « grande personne » qui saura protéger.
Dans cette maison soudain envahie, les cloisons jouent un rôle essentiel. Ida entend des cris et des paroles dont elle ne saisit pas toujours l’origine ou le sens. Les divers espaces sont autant de frontières entre les personnages : parfois ils protègent, parfois ils mettent à nu. Chez Christine, au contraire, l’espace unique ou presque influe sur la relation toute provisoire que cette voisine entretient avec Bègue, le plus instable des trois frères. Il a aimé peindre lors du séjour qu’il a passé dans un centre thérapeutique, et envie l’expérience, le savoir accumulé par Christine, ainsi que la célébrité à laquelle elle a un temps accédé. Lui ne connaîtra jamais cela et en est meurtri.
Héros d’un conte noir, les personnages de ce roman sont d’abord des humiliés[...]
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Écrit par
- Norbert CZARNY : professeur agrégé de lettres modernes
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