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HISTORICISER LE MAL. UNE ÉDITION CRITIQUE DE MEIN KAMPF

La publication par les éditions Fayard, le 2 juin 2021, de l’ouvrage Historiciser le mal. Une édition critique de « Mein Kampf » est l’aboutissement d’un long travail et d’une polémique de plusieurs années.

L’histoire complexe de Mein Kampf

Mein Kampf est l’un des livres les plus vendus au xxe siècle et le succès des rééditions intervenues depuis qu’il est tombé dans le domaine public en 2016 ‒ en allemand, néerlandais et français par exemple ‒ va encore accentuer ce phénomène. À n’en pas douter, cet ouvrage, symbole du nazisme, a acquis un statut particulier.

Hitler commence la rédaction de Mein Kampf (Mon Combat) durant les treize mois de détention qu’il effectue dans la forteresse de Landsberg am Lech après sa condamnation à cinq ans de prison pour avoir fomenté le putsch raté du 8 novembre 1923. Le premier tome est publié le 18 juillet 1925 et le second, le 11 décembre 1926, aux éditions Eher à Munich. Il s’agit d’un texte composite, pour partie roman d’initiation dans la tradition romantique allemande (Bildungsroman), pour partie étude géopolitique, pour partie programme politique. Mein Kampf est original en ce qu’il synthétise les grands mythes nationalistes et racistes qui ont émergé à la fin du xixe siècle. En usant pour présenter ces idées d’un style tumultueux, Hitler construit une vision du monde (Weltanschauung) ayant une certaine cohérence interne. Malgré sa longueur (plus de 700 pages) et la lourdeur de son style, l’ouvrage joue un rôle dans la diffusion du national-socialisme. Cependant, si les passages sur la « question juive » sont d’une extrême violence, la Shoah n’y est pas clairement annoncée.

Dès que les nazis arrivent au pouvoir, en 1933, Mein Kampf connaît une énorme diffusion au sein du parti et des organisations qui en dépendent, jouant un rôle central dans le culte du Führer. Il est lu ‒ par extraits ‒ au sein des Jeunesses hitlériennes par exemple. C’est le cadeau obligé pour les mariages, offert par les municipalités. Il fait office de texte sacré du régime, même si la nazification de la société allemande passe également par d’autres canaux, dont la gigantesque production « scientifique » intégrant le nazisme à tous les domaines de la pensée. On estime que 12 millions d’exemplaires de Mein Kampf ont été vendus dans le Reich jusqu’en 1945. De façon symbolique, les autorités américaines d’occupation font alors fondre les plaques d’impression du livre.

Dès 1934, Mein Kampf est publié en français, et ce malgré l’opposition d’Hitler lui-même, qui ne veut pas dévoiler sa pensée à l’« ennemi héréditaire » ‒ le livre contenant en effet de longs développements contre la France. C’est une petite maison d’édition installée dans le quartier Latin, les Nouvelles éditions latines, qui le publie. Son directeur est un jeune entrepreneur, Fernand Sorlot, maurassien et antiallemand, et le catalogue de sa maison d’édition est plus que composite. Signe de la complexité des enjeux autour de MeinKampf ‒ déjà ‒, la LICA (ancêtre de la LICRA) préachète alors 5 000 exemplaires pour faire connaître l’ampleur du danger antisémite. L’éditeur d’Hitler intente un procès à Fernand Sorlot pour atteinte aux droits d’auteur. La diffusion du livre par ce dernier est interdite en vertu d’une ordonnance du tribunal de commerce de la Seine du 18 juin 1934, mais elle se poursuit sous le manteau. Après la Seconde Guerre mondiale, Sorlot, puis son fils s’autorisent à reprendre l’exploitation de leur édition de Mein Kampf, qui reste donc librement disponible en France. Un second procès a lieu en 1978 : la LICRA et le comité d’action de la Résistance assignent les Nouvelles éditions latines au motif que Mein Kampf contrevient à la loi du 1er juillet 1972 contre le racisme. Après de nombreuses péripéties judiciaires,[...]

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