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HISTORICISER LE MAL. UNE ÉDITION CRITIQUE DE MEIN KAMPF

Rééditer Mein Kampf : enjeux et polémiques

La polémique autour d’une republication de Mein Kampf commence en Allemagne, lorsque l’Institut d’histoire contemporaine de Munich-Berlin (Institut für Zeitgeschichte, IFZ) annonce en 2009 en préparer une édition commentée. Il s’agit d’un événement important puisque toute nouvelle publication de Mein Kampf était interdite en Allemagne depuis 1945 ‒ même si les éditions anciennes pouvaient être commercialisées. Or, le 1er janvier 2016, Mein Kampf tombe dans le domaine public en Europe, soixante-dix ans après la mort de son auteur. Jusqu’à cette date, les droits d’exploitation issus de la publication de l’ouvrage à l’étranger étaient gérés par le Land de Bavière, héritier des biens d’Hitler, et ces droits étaient reversés à des associations d’aide aux survivants de la Shoah. D’intenses discussions publiques ont lieu en Allemagne sur l’opportunité de republier l’ouvrage. Le Land de Bavière annonce qu’il se désengage du suivi des droits d’auteur et donc autorisera la republication. Les représentants de la communauté juive du pays sont consultés et l’idée d’une mise à disposition du grand public d’une édition scientifique emporte finalement l’adhésion, face au risque de voir une multitude d’éditions livrer le texte sans aucun commentaire. Une équipe de chercheurs est chargée de ce projet au sein de l’Institut, sous la direction de Christian Hartmann, et l’ouvrage paraît comme prévu le 8 janvier 2016.

Entretemps, l’annonce par Fayard, en 2015, de la republication de Mein Kampf en France provoque également une vive polémique. Elle est notamment lancée par Jean-Luc Mélenchon dans une lettre ouverte à l’éditeur, en date du 22 octobre 2015, intitulée « Non, pas Mein Kampf quand il y a déjà Le Pen ! » Le leader du Parti de gauche y déclare : « Éditer, c’est diffuser. La simple évocation de votre projet a déjà assuré une publicité inégalée à ce livre criminel. Rééditer ce livre, c’est le rendre accessible à n’importe qui. » Le débat public est très vaste alors que la plupart des historiens se prononcent en faveur de la republication. L’historien du nazisme Christian Ingrao, membre de l’équipe scientifique recrutée par Fayard pour son édition critique, répond à Jean-Luc Mélenchon dans Libération le 25 octobre 2015 : « Il est nécessaire de republier ce livre harnaché de ce discours historien dont vous faites peu de cas pour pallier la pathologisation du dictateur et la surestimation de sa lourde prose. […] Ni psychopathe halluciné, ni magicien manipulant les foules, Hitler dicta un essai besogneux qu’il faut montrer comme tel. » Le débat porte sur plusieurs aspects : certains présentent la republication de Mein Kampf comme un salutaire avertissement pour le futur quand d’autres redoutent qu’elle rende le livre disponible à de nouveaux promoteurs de la haine. Par ailleurs, d’aucuns émettent la crainte que la focalisation sur Mein Kampf n’exagère son rôle et celui d’Hitler dans l’émergence des idées nationales-socialistes, comme l’historien Johann Chapoutot, qui se désengage de l’équipe éditoriale française.

Fayard, sous la direction de Sophie de Closets, annonce prendre son temps pour l’établissement de la nouvelle version du livre, alors qu’une nouvelle traduction a été commandée à Olivier Mannoni dès 2011 ‒ le livre n’a pas été retraduit depuis 1934. Des deux éditeurs à l’origine du projet, l’un est mort soudainement (Anthony Rowley) et l’autre a quitté la maison d’édition (Fabrice d’Almeida). En 2015, le projet est confié à l’historien du nazisme et de la Shoah Florent Brayard, qui reconduit et étoffe l’équipe éditoriale. L’attention médiatique portée à ce projet ne faiblit pas pendant plusieurs années tandis que Fayard repousse toujours la parution.

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