HISTORICISME, art
L'esthétique des Beaux-Arts
Il reste qu'on ne saurait feindre d'introduire un semblant d'ordre, géographique ou historique, dans la diversité, la prolifération des courants historicisants dont s'est réclamée l'architecture du xixe siècle. Le trait le plus caractéristique de ce siècle aura été l'alternance, souvent confuse et précipitée, de phases de renouveau – néo-grec, néogothique, néo-byzantin, néo-géorgien, néo-colonial, etc. –, relativement créatrices, et de phases de réaction où triomphait le pastiche archéologique, inspiré la plupart du temps de modèles de seconde main (nombre des palais « romains » de New York sont imités des planches de Letarouilly). Plus subtilement, le même Paul Abadie (1812-1884), qui porte la responsabilité du Sacré-Cœur de Montmartre, aura tenté de justifier archéologiquement son entreprise en restaurant au préalable l'église Saint-Front de Périgueux dans un « goût » qui anticipait sur celui qui devait présider à l'érection de la basilique parisienne. Ce jeu de miroirs – pour ne pas dire ce jeu de passe-passe – est caractéristique de l' académisme, tel que l'imposait l'enseignement de l' École des beaux-arts de Paris, lequel aura marqué de son empreinte quelques-uns des meilleurs architectes de l'époque, non seulement français mais étrangers, et particulièrement américains, de Henri Labrouste (bibliothèque Sainte-Geneviève, 1839-1850 ; salle de lecture et réserves de la Bibliothèque nationale, 1862-1868) à Charles Garnier (Opéra de Paris, 1861-1875, le chef-d'œuvre du style « Napoléon III »), et de Richardson, déjà nommé, à Louis Henry Sullivan, l'un des maîtres de l'école de Chicago. Il ne se laisse comprendre, en définitive, qu'en termes de résistance, sinon de réaction : résistance, réaction devant les nouveaux programmes, imposés par l'histoire et les transformations de la société ; résistance, réaction devant les techniques et les matériaux nouveaux (et d'abord le fer) et les possibilités qu'ils offraient. Le mythe du fonctionnalisme, d'une forme qui fût exactement adaptée à sa fonction, sinon déduite du matériau, de la technique elle-même, aura été la contrepartie obligée d'une esthétique – celle des « Beaux-Arts » – où le recours constant à la notion de « style » servait de couverture à une entreprise en son fond idéologique : il s'agissait de dissimuler, sous un bavardage et des oripeaux prétendument culturels, l'apparition de structures inédites qui témoignaient éloquemment des puissances réelles, matérielles, de l'âge industriel. Dans son effort pour briser avec le passé immédiat et pour en appeler dans tous les domaines aux grands principes naturels ou rationnels, le xviiie siècle avait pu recourir aux masques antiques. L'historicisme architectural, sous ses espèces diverses mais principalement gothiques (le gothic revival aura été inspiré directement par l'Église et la royauté, soucieuses d'affirmer leurs liens avec un passé légitime et rassurant), est né d'une réaction contre la Révolution et ses prétentions à faire table rase de la tradition, à introduire dans l'histoire une coupure radicale. S'alignant en cela sur l'historicisme au sens philosophique du terme, il devait bientôt évoluer vers un relativisme et un éclectisme qu'illustre la coexistence, sinon le mélange en un même temps, voire en un même lieu, des « styles » les plus disparates. La valorisation des modèles du passé, l'accent mis sur les traditions nationales, le culte de la singularité, de l'individualité apparaissent comme autant de mécanismes de défense qui sont destinés à retarder la prise de conscience indispensable à l'apparition d'une architecture moderne[...]
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Écrit par
- Hubert DAMISCH : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
Classification
Médias
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