HISTORICISME, art
La contradiction de l'historicisme
La référence aux idées de droit, de justice, n'est pas ici accidentelle. C'est en effet en réaction contre la Révolution française et les doctrines du droit naturel qui l'auraient préparée que paraît être née l'école historique. L'historicisme, au sens philosophique, veut que toute pensée, que toute théorie ressortisse à une culture, à une totalité historique singulière. L'histoire est source de toute connaissance, comme de toute réflexion ; il n'y a de principes que concrets et particuliers, relatifs, adaptés à une époque, à une nation déterminée : s'inscrivant dans un contexte historique donné, ils sont voués à disparaître avec lui. Mais l'historicisme, au moins l'historicisme radical, est fondé sur une contradiction interne : sa thèse se détruit de son propre mouvement, dès lors qu'elle se présente comme une vérité permanente, valable pour toute pensée, pour toute époque. C'est dire que ses adeptes sont pris dans un dilemme : ou feindre que l'histoire – au moins l'histoire de la pensée – soit arrivée à son terme, au moment absolu où se dévoile le caractère essentiel (historique) de la vie humaine ; ou accepter que toute analyse implique un cadre de référence, un horizon qui ne saurait être fondé en raison, est au contraire à la base de tout raisonnement. Viollet-le-Duc s'inscrit en faux contre la thèse historiciste ; il croit à l'existence de principes transhistoriques qui régleraient l'évolution de l'art de bâtir, aussi bien qu'à la possibilité d'une analyse objective des différents systèmes historiques. Il n'en aura pas moins été conduit, dans les faits, à emprunter le modèle de la rationalité architecturale à une période déterminée, dans l'horizon de laquelle s'inscrit sa pensée, et à dénier à l'architecte, au nom d'un prétendu fonctionnalisme, toute possibilité d'invention.
La contradiction, l'impasse à laquelle aboutit Viollet-le-Duc est celle même, tout ensemble réelle et idéologique, de son époque. Réelle, dans la mesure où l'évolution de la société appelait confusément une nouvelle architecture dont les moyens n'étaient pas encore acquis (ce sera là, au début même de ce siècle, le cas de Gaudí) ; idéologique, dans la proportion où l'art apparaissait comme le refuge des traditions artisanales et des valeurs de luxe menacées par la révolution industrielle (la référence s'impose ici à Ruskin). Dès le début du xixe siècle, l'industrie allait fournir au bâtiment des éléments dont un John Nash sut tirer un parti éclatant au Pavillon royal de Brighton (1818-1821). Mais l'usage de supports et, vers le milieu du siècle, de poutres métalliques n'apportait par lui-même aucun bouleversement, structural ou esthétique : il s'agissait toujours de combiner, suivant les principes traditionnels, des éléments identifiables – colonnes, arcs, linteaux de fonte – auxquels les industriels s'efforçaient de donner l'apparence la plus respectable, la plus « culturelle », tandis que les architectes s'employaient à les insérer dans un habillage de maçonnerie ou derrière des façades ordonnées suivant les règles de l'École. Il n'est pas jusqu'aux constructeurs de ponts qui ne se voudront, à l'occasion, « grecs » ou « gothiques » ; le critique américain Montgomery Schuyler le reprochera, dans un article qui fera date, aux auteurs du pont de Brooklyn, le premier des grands ponts new-yorkais (dû aux architectes J. et W. Roebling, 1883). La fièvre architecturale qui s'empara de Chicago dans les années 1880-1890, et qui vit l'apparition des premiers gratte-ciel à charpente métallique, cette fièvre tourna court avec l'Exposition internationale[...]
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Écrit par
- Hubert DAMISCH : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
Classification
Médias
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