HOLBEIN ET LA RENAISSANCE DANS LE NORD (exposition)
Au croisement des styles picturaux
Bien d’autres artistes sont actifs à Augsbourg, et avant tout Hans Burgkmair (1473-1531), dont la relation à Holbein l’Ancien est faite de rivalité et d’émulation fructueuses. Avec Burgkmair, l’ouverture à l’Italie est directe : dans une œuvre de 1509, la traditionnelle Vierge à l’Enfant sur un banc de gazon et devant un buisson de roses (Musée national germanique, Nuremberg), chère au monde rhénan du xve siècle, est reprise et sublimée par l’architecture Renaissance et son vocabulaire ornemental. L’anatomie de l’enfant, la position de la Vierge libérée de la frontalité et l’articulation du paysage qui relie les plans successifs vers un horizon lumineux s’unissent en une création où le thème iconographique est entièrement renouvelé.
Le jeune Hans Holbein est nourri à toutes ces sources, mais il sait regarder loin, et intelligemment. La Madone de Soleure (Soleure, Kunstmuseum), de 1522, ne saurait se comprendre sans le regard du peintre sur les retables de Van Eyck, mais aussi sans sa vision des œuvres de Léonard de Vinci, qu’il découvre lors d’un voyage en France. La Madone du bourgmestreJacob Meyer zumHasen (Künzelsau, collection Würth), achevée en 1528, est l’un des sommets absolus de toute l’histoire de la peinture. La grande coquille Renaissance devient un diadème qui fait rayonner la Vierge et l’Enfant. La composition est centrée mais n’a rien de statique, car chacun des personnages – le donateur, les membres de sa famille, les saints Jacques le Majeur et Jean-Baptiste – anime différemment une direction de l’espace. Le réalisme des visages atteint ici une dimension universelle par l’expression d’une interrogation à la fois inquiète et confiante devant le mystère de la vie. Les visages de la Vierge et de l’Enfant sont empreints d’un sfumato – un moelleux des contours –, vu chez Léonard, alors que les visages des autres personnages, situés au niveau inférieur de la composition, se caractérisent davantage par le réalisme analytique venu du monde flamand. C’est là tout le génie d’un artiste qui se sert, dans une grande subtilité, d’un choix stylistique, pour exprimer deux niveaux de spiritualité, deux relations à l’invisible, non en concurrence mais dans une hiérarchie symbolique. Nous sommes alors à Bâle, en 1526. Hans le Jeune a assimilé tout ce qu’il a vu au service de son langage personnel. Il est prêt pour son premier séjour en Angleterre (1526-1528), avant de s’y établir définitivement en 1532, pour y créer d’autres chefs-d’œuvre.
Cette exposition est une superbe démonstration de la capacité de l’histoire de l’art à éclairer le regard, et à montrer qu’un aspect majeur du génie personnel d’un artiste est bien de savoir tirer parti de toutes les facettes des milieux où il s’épanouit.
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Écrit par
- Christian HECK : professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Lille
Classification
Média