HOMÈRE
La société homérique
Depuis les découvertes de l'Allemand Heinrich Schliemann à Troie en 1870 et à Mycènes en 1873, beaucoup d'archéologues et d'historiens ont postulé que les poèmes d'Homère, généralement datés du viiie siècle avant notre ère, décrivaient le monde mycénien qui s'était épanoui dans la seconde partie du IIe millénaire ; ils ont combiné les données archéologiques de l'Âge du bronze et les indications de l'épopée pour dresser le tableau d'une société homéro-mycénienne qui est, à bien des égards, une chimère. D'autres, transposant dans le monde décrit par Homère les usages de la féodalité médiévale, ont assimilé les guerriers homériques à des « chevaliers », et sont arrivés à des résultats tout aussi chimériques. Le recours à l'ethnologie a permis d'éclairer certains usages homériques, et en particulier de mettre en évidence un système complexe de dons et de contre-dons. Cependant, ce n'est pas parce qu'Homère est ancien qu'il est « primitif » et qu'il ignore toute forme de vie politique, comme le veut une théorie à la mode, qui assimile les rois homériques aux big men mélanésiens, « hommes forts » au pouvoir instable, sans fondement institutionnel.
« Expliquer Homère par Homère » : le principe de méthode du grand critique alexandrin Aristarque (— 217-— 145) vaut aussi pour l'analyse des sociétés homériques. La confrontation systématique des textes montre que les institutions et les coutumes évoquées dans les poèmes sont les mêmes dans toute L'Iliade et toute L'Odyssée, quoique les conceptions politiques qui s'expriment dans les deux poèmes soient notablement différentes. Cette cohérence du monde homérique pourrait signifier simplement que de nombreuses générations d'aèdes sont parvenues à créer un amalgame presque parfait entre des données d'époques diverses. C'est la confrontation avec d'autres sources qui permet de suggérer une interprétation historique des sociétés évoquées par Homère.
Les sociétés décrites par Homère
La grande maison aristocratique
L'oikos, la grande maison aristocratique, est au centre de L'Odyssée : l'action du poème se déroule principalement dans les demeures d'Ulysse, de Nestor, de Ménélas et d'Alcinoos. Le terme oikos désigne à la fois la famille et les biens qui lui appartiennent. Une « grande maison » comprend le maître, son épouse, ses enfants légitimes (ainsi que, parfois, des brus et des gendres), quelquefois des bâtards (nothoi) nés de l'union du maître et d'une concubine esclave, ses servantes, occupées à tisser ou à moudre le grain, ses serviteurs, employés pour la plupart à la campagne, ainsi que sa demeure avec le trésor qu'elle renferme, les grands vins et les objets de prestige (keimèlia), ses troupeaux, ses champs, ses vignes et ses vergers.
Il n'y a, dans les poèmes homériques, qu'un exemple de polygamie, celui de Priam à Troie. Hécube, l'épouse principale, a une situation privilégiée, mais le souverain troyen a comme épouses secondaires les filles de divers petits dynastes alliés. Les autres héros ont une seule épouse, mais souvent beaucoup de concubines sous leur toit, et cette cohabitation est parfois source de conflits. Ainsi Laërte, après avoir payé Euryclée la valeur de vingt bœufs, renonça-t-il à la faire monter dans son lit par crainte de scènes conjugales (L'Odyssée, I, 429-431).
La guerre est, dans les poèmes homériques, le principal pourvoyeur d'esclaves, puisque, quand une ville est prise, les femmes et les enfants font partie du butin du vainqueur. La piraterie joue également un rôle : le jeune Eumée a été enlevé par des commerçants-pirates phéniciens, avec la complicité d'une esclave sidonienne qui avait elle-même été enlevée[...]
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Écrit par
- Pierre CARLIER : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur d'histoire grecque à l'université de Paris-X-Nanterre
- Gabriel GERMAIN : professeur honoraire à la faculté des lettres et sciences humaines de Rennes
- Michel WORONOFF : professeur à la faculté des lettres, président honoraire de l'université de Franche-Comté
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