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HOMME L'hominisation

Le phénomène humain

Qu'est-ce donc exactement que le phénomène humain ? Sur le plan anatomique, aucun trait distinctif saillant n'isole l'homme des autres vivants, plus exactement des Primates, et malgré ce manque d'originalité, il joue un rôle immense dans la biosphère. À noter toutefois une donnée d'ordre purement anatomique et embryologique d'une importance primordiale : l'allongement de la période fœtale et de la croissance postfœtale resserre le lien familial, tandis que l'éducation conserve et accumule le savoir des générations, l'humanité devenant ce même homme qui apprend perpétuellement. Écoutons ici Teilhard : « Des institutions aussi conventionnelles que nos bibliothèques, des forces aussi extrinsèques à notre corps que l'éducation ne sont pas si loin qu'on pourrait le croire de constituer à l'humanité une mémoire et une hérédité. »

Un autre caractère zoologique de l'humanité est sa puissance d'expansion et de conquête. L'homme envahit la Terre, en occupe tous les domaines, sans que l'altitude, le climat, les rivières, les mers puissent constituer des obstacles infranchissables. Il maîtrise la nature, domestique l'animal ou le fait disparaître, cultive les plantes, étend son pouvoir de vie. « Jamais être vivant, à aucune époque, n'a occupé la Terre aussi largement que l'homme ni dans de telles conditions, avec un tel empire ! » Et l'on a souligné le caractère étonnant de notre espèce qui est restée elle-même, unique, malgré son ubiquité et la variété de ses biotopes.

Plus encore que par sa faculté d'expansion, l'originalité biologique de l'homme se manifeste par la création de l' outil artificiel, indépendant du corps et permettant de diversifier à l'infini l'effort sans en devenir l'esclave. Grâce à cette puissance instrumentale, l'homme a ouvert à plusieurs reprises dans l'histoire des ères nouvelles.

Enfin, on doit parler d'unité organique à propos de l'ensemble humain. « Tel est, en effet, le caractère distinctif et infiniment remarquable de l'enveloppe tissée au globe terrestre par l'humanité que cette enveloppe n'est pas formée d'éléments grossièrement juxtaposés ou irrégulièrement distribués, mais qu'elle tend à constituer un réseau, ou pour mieux dire un véritable organisme, parcouru par une vitalité commune » (E. Le Roy). Il s'agit même d'une authentique individualité.

On peut conclure avec E. Le Roy et P. Teilhard que ces caractères si originaux de l'humanité découlent de deux facteurs psychiques : la réflexion et la « conspiration » (concours vers un même effet). La réflexion, c'est la faculté que possède chaque conscience humaine de se replier sur elle-même, de discerner le jeu et les conditions de son action. Entre ce pouvoir de réfléchir et la découverte de l'instrument artificiel, qui a permis à l'homme la conquête du monde, il y a corrélation, que manifeste la dualité main-cerveau. La « conspiration » a donné naissance à la forme de liaison originale du groupe humain ; elle se traduit par l'aptitude des consciences individuelles à se rejoindre et à s'unifier.

Ainsi l'hominisation, c'est-à-dire l'introduction dans l'histoire de la vie du phénomène humain, n'est point l'apparition d'une espèce nouvelle, mais celle d'une forme nouvelle de la vie. L'enveloppe humaine de la biosphère est du même ordre de grandeur que la biosphère elle-même. L'humanité n'est pas une partie de la vie, mais l'équivalent, l'homologue de la vie. Ces deux mondes ne sont point étrangers, mais pour passer de l'un à l'autre, il faut imaginer, à l'origine de la sphère humaine, de la sphère de la réflexion qui[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à la Sorbonne, membre de l'Académie des sciences

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