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HOMME La réalité humaine

De Hegel aux sciences de l'homme

Le retournement hégélien

Friedrich Hegel - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Friedrich Hegel

Tout autre est la signification du moment hégélien. Du point de vue qui a été adopté, ici, on dira que Hegel cherche tout à la fois à renouer le lien du sujet et du monde, et à maintenir le primat de la pensée théorique, voire à le renforcer. Il y réussira en identifiant savoir et discours, et en niant, au nom de cette identification, que la science positive, modèle paradigmatique, avoué ou secret, de tout savoir depuis l'aurore des temps modernes, mérite la plénitude de ce nom. Le discours sur la chimie n'est pas de la chimie, il n'est pas chimique, au lieu que le discours sur la pensée est pensée au premier chef, comme est aussi humain au premier chef le discours de l'homme sur lui-même. L'identité du savoir et de son objet – qui supprime l'objet en tant que tel – définit le savoir absolu et l'absolu du savoir. Le savoir de la science dite positive n'est donc qu'un savoir, incomplet, infirme et, sous cette forme, provisoire, en attendant qu'il passe dans le discours total dont il sera alors un moment. On ne peut ici avoir pour propos de montrer quels fondements Hegel assigne à cette coextensivité du discours, de l'homme et de l'absolu, et comment il la justifie. On doit se borner à comprendre ce qui s'ensuit pour l'homme et pour son rapport au monde et à la science.

Le devenir phénoménologique du logos part de la conscience naturelle la plus pauvre (Hegel dit : la plus abstraite), c'est-à-dire de celle qui est simple visée de n'importe quel « ceci » vécu. Il traverse ensuite, avant d'aboutir à l'esprit absolu, l'expérience tout entière, par une série de transformations successives qu'il doit s'imposer de par la nécessité même du sens qui le meut. Le discours de l'expérience, puisque c'est ainsi qu'il faut le nommer, fait du sujet, d'autrui, de la nature et du monde, le lieu de l'articulation progressive du concept qui sera, finalement, l'idée concrète, lorsque le progrès de son devenir aura cessé de lui découvrir ou de lui constituer des significations ou des articulations nouvelles.

Ce projet grandiose entend réconcilier, dans l'absolu du sens, pleinement révélé à lui-même, l'homme et le monde. Il est, et on doit prendre l'expression au pied de la lettre, constitution du monde-humain, ce substantif et cet adjectif étant désormais radicalement indissociables. Mais cette réconciliation est une réconciliation par le sens et dans le sens. Il n'y a pas d'autre réalité que le langage réel sur la réalité, ou plutôt de la réalité, langage poursuivi jusqu'à sa propre consommation, qui est aussi son épanouissement.

Il est clair que l'anthropologie implicitement et explicitement présente dans pareille ontologie apporte un retournement radical des positions touchant l'homme et le monde telles qu'elles avaient jusqu'ici marqué l'époque moderne.

Au lieu que l'homme se trouve en voie d'exil progressif d'un monde et d'un corps également inhabitables, et, par là, rejeté sur une subjectivité purement intérieure et coupée de tout lien immédiat à autrui et aux choses, il se situe désormais au centre d'un monde, humain jusqu'en son tréfonds, lieu, théâtre, enjeu et substance du devenir de la communauté des esprits dans la constitution du discours absolument universel et absolument concret.

Si considérable que fût le succès de l'hégélianisme à ses origines et quel que soit le regain d'intérêt dont il bénéficie en ce temps-ci, il ne manque pas de devoir faire front au moins à deux très graves difficultés.

La première concerne la philosophie hégélienne de la nature. Une telle philosophie, conformément à la ligne et aux intentions de son auteur, s'efforce de[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Académie royale de Belgique, membre associé à l'université de Louvain

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