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HOMME La réalité humaine

La phénoménologie

Le débat avec Freud

On l'a déjà dit : le début du présent siècle a vu mûrir lentement deux tentatives majeures de repenser la condition du sujet et la situation de l'homme dans le monde. Elles diffèrent grandement par leur esprit, leurs moyens, leurs fins immédiates et peut-être lointaines, au point qu'on a relevé entre elles, et avec raison, bien des oppositions. Il semble, cependant, que sous un certain angle de vue tout au moins, on puisse tenter de les rapprocher sans leur faire tort ni à l'une ni à l'autre, sans manquer non plus à l'exactitude ou à la clairvoyance. Ces entreprises ont en commun la même intention d'exonérer l'anthropologie, qu'elle soit ou non philosophique, d'une dichotomie ruineuse dont on a ici recherché l'origine et mesuré certains ravages. On contestera peut-être que la phénoménologie se soit proposé de restaurer, contre le subjectivisme, la condition charnelle de l'homme. Mais n'est-ce pas oublier l'incessant combat que livre Husserl, et dès les premières années de sa carrière philosophique, contre la notion de conscience représentative, oublier aussi sa doctrine relative à la perception, doctrine profondément révolutionnaire à l'époque, puisqu'elle déracine en totalité le dualisme de la sensibilité et de l'entendement. Or ces deux thèses contiennent déjà en germe tout ce qui suivra. À l'inverse, on contestera tout autant que Freud ait jamais cherché à ébranler le déterminisme plutôt qu'à l'asseoir ; on avancera qu'il n'a eu d'autre souci que la mise au jour d'une archéologie oppressante et oppressive, qu'il ne s'est jamais vraiment détaché d'ambitions finalement organicistes, voire physiologistes ; enfin, et surtout, qu'il a prétendu dévoiler un sujet entièrement placé sous la loi et sous la coupe d'un inconscient exigeant et dominateur. Tout cela est vrai, au moins en partie, et on ne l'a que trop souligné. Il a donc fallu beaucoup de temps et de perspicacité pour que soit proposée de Freud une autre lecture, aussi légitime et plus profonde. Cette lecture établit partout la primauté du sens. Il est apparent que tel fut aussi le propos immuable de la phénoménologie. On sait, il est vrai, que pour la psychanalyse ce sens n'est pas forcément perceptible et conscient pour celui qui l'installe dans son comportement ou son discours, et qu'il ne l'est même jamais absolument. Mais fut-il jamais question, pour la phénoménologie, de conférer au sujet empirique le pouvoir d'élucider les significations intentionnelles qu'il vise ? À quoi l'on rétorquera encore que cet inconscient, « structuré comme un langage », est aussi dynamique et pulsionnel, et que rien de tel n'apparaît dans l'analyse intentionnelle du sens, telle que la conçoit la phénoménologie, du moins husserlienne. Il n'est donc aucunement question d'identifier phénoménologie et psychanalyse. Il est seulement question de montrer qu'elles sont pareillement à contre-courant du flux qui, depuis des siècles, emporte la conception que l'homme se fait de lui-même. Pareillement et ensemble, elles restaurent le sens et la parole.

Mais, différent au reste pour chacune d'elles, l'univers du langage où elles résident n'est pas celui du discours hégélien. Sans refuser le concept, elles savent que celui-ci ne se confond pas avec la parole, encore qu'il en soit tributaire. D'autre part, la parole n'est pas non plus simplement le langage, distinction qui permettra d'éviter les pièges que tendent à l'homme la linguistique ou les mathématiques. On n'aurait rien gagné si la redécouverte du sens devait aboutir à dissoudre ou à écarteler l'homme dans un système de signes qui exclurait la demeure aussi bien que l'exil. Or, la parole, a-t-on appris de la[...]

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  • : membre de l'Académie royale de Belgique, membre associé à l'université de Louvain

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