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HOMO ŒCONOMICUS (P. Demeulenaere) Fiche de lecture

L'Homo hierarchicus et l'Homo aequalis ont fourni, au cours des précédentes décennies, leur thème et leur titre aux ouvrages classiques de Louis Dumont. Parallèlement, l'Homo ideologicus a été mis en scène par Jean Baechler, notamment dans la préface qu'il a donnée à L'Esprit du jacobinisme d'Augustin Cochin. On a traité, dans la même période, de l'Homo ethicus, de l'Homo religiosus, de l'Homo aestheticus. Avec l'enquête menée par Pierre Demeulenaere sur la naissance et le devenir de l'Homo œconomicus (PUF, 1996), c'est à une fiction théorique entée sur un agent économique que la réflexion revient et s'attache aujourd'hui, pour montrer les ambiguïtés dont l'a revêtue une longue tradition de pensée.

Le point de départ de cette investigation sur « la constitution d'un paradigme » est à chercher du côté de l'insatisfaction suscitée par le discours économique. Le paradigme interprétatif auquel ce discours s'applique est formé d'éléments conceptuels qui ont pour signe distinctif d'être polysémiques : utilité, rationalité, richesses, monnaie, intérêt peuvent être, en effet, considérés en deux sens différents. Pour le premier terme, par exemple, on peut faire référence à des utilités substantielles (des coûts précisément calculés, des avantages concrètement identifiés) ou à des utilités formelles (comme dans le cas de la mise en ordre des préférences). Aux opérations de l'Homo œconomicus, qui est à la fois un individu pratique et une représentation théorique, il est de la sorte possible d'assigner un caractère substantiel – elles prennent alors place dans un secteur déterminé de l'activité économique – ou une dimension formelle – toute action, dans ce cas, revenant à minimiser une dépense et à maximiser un bénéfice. Quesnay, qui liait substantiellement l'idée d'activité économique aux travaux agricoles, et Leibniz, qui avait antérieurement rapporté toute action à un principe de maximisation de l'avantage et de minimisation du coût, illustrent ces deux démarches mettant l'accent l'une sur la tangibilité matérielle, l'autre sur le cadre formel.

Centrée sur la caractérisation de l'action économique, cette enquête vise donc, ainsi que l'explicite Pierre Demeulenaere, « à essayer de donner un contenu précis, du point de vue de l'action concrète et de sa formalisation, à ces rapports de maximisation et de minimisation : ce qui devrait conduire à rechercher des fondements clairs, en rapport avec les actions effectives, aux notions d'utilité et de rationalité, dans leurs liens avec les questions de richesse, d'intérêt et de choix ». La recherche ainsi engagée sur les relations qu'entretiennent formalisation théorique et description empirique intéresse en fait, et au premier chef, la sociologie de la connaissance. Un malentendu sur l'objectif poursuivi doit être cependant d'emblée dissipé. Il ne s'agit nullement ici de mesurer l'écart qui sépare les modèles du réel, mais de mettre au jour ce qui est de l'ordre de l'implicite dans le discours sur l'économique. Avec le repérage et le déchiffrement de ce qui est sommairement tenu pour acquis dans l'argumentation courante remonte à la surface un « inconscient théorique » que le principal mérite du présent ouvrage est d'explorer et d'analyser.

En entreprenant de voir comment s'effectue, depuis le xviiie siècle et dans le domaine concerné, la cristallisation des arguments en une tradition reçue hors de toute interrogation sur ce qui la fonde, Pierre Demeulenaere se réclame tout au long de l'ouvrage de la méthode mise en œuvre par Raymond Boudon dans L'Idéologie, L'Art de se persuader et, plus récemment,[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

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