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HOMONYMIE / POLYSÉMIE, notion d'

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Le terme « homonymie », introduit en français au xvie siècle, nous vient, par l'intermédiaire du latin, du grec homônymia, formé sur homo- et onoma (littéralement « [qui a] même nom »). Sont dits homonymes des mots ayant des sens différents et qui possèdent la même forme phonique (les « homophones ») et /ou graphique (les « homographes »). Ainsi, les mots « bière » (boisson fermentée faite avec de l'orge germée) et « bière » (cercueil) sont des homophones homographes ; les mots « sot », « saut », « sceau » et « seau » des homophones non homographes ; et les mots « fils » (descendant[s] de sexe masculin) et « fils » (brins longs et fins des matières textiles) des homographes non homophones.

Le terme « polysémie », quant à lui, a été proposé par Marcel Bréal en 1897 dans son ouvrage Essai de sémantique, sur le modèle grec de polusêmos (littéralement « [qui a] plusieurs significations »). Est dit polysémique un mot qui possède plusieurs sens, par exemple le nom « plateau » (support plat servant à poser et à transporter des objets ; étendue de pays assez plate et dominant les environs ; plate-forme pour la présentation d'un spectacle ou l'installation de dispositifs techniques).

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Il y a homonymie lorsqu'on est en présence de plusieurs « signes » distincts ayant, en synchronie, des sens radicalement différents (dans le cas du mot « bière », le « cercueil » ne partage aucun trait sémantique commun avec la « boisson »), ce qui est souvent corroboré par des étymologies différentes : la bière « boisson » vient du néerlandais bier, la bière « cercueil » du francique bera. Dans des cas de ce type, le lexicographe établira deux entrées distinctes dans le dictionnaire. Au contraire, on considère qu'il y a polysémie lorsque l'analyse linguistique permet de conclure à l'existence d'un signe unique dont les différents sens sont, d'une manière ou d'une autre, sémantiquement apparentés (le « support », l'« étendue de pays » et la « plate-forme » partagent une même propriété, la « platitude ») – ce qui est corroboré par le fait que, diachroniquement, le signe dérive d'un étymon unique (« plateau » dérive de l'adjectifplattus, du latin populaire). Dans ce cas, le lexicographe établira une seule entrée de dictionnaire, et subdivisera ensuite la définition en autant de rubriques de sens que nécessaire.

Dans certains cas, il arrive que, malgré une origine commune, la parenté des sens d'un polysème se soit par trop estompée ; les lexicographes ouvrent alors des entrées distinctes : ainsi dans le cas de « voler » (activité de l'oiseau) et de « voler » (activité du voleur), ou de « grève » (plage) et de « grève » (arrêt de travail), traités de fait comme des homonymes. À l'inverse, l'évolution de la langue peut conduire à fusionner en une seule unité – alors traitée comme polysémique – des homonymes provenant d'unités originellement distinctes : ainsi « errer » (du latin errare « s'éloigner de la vérité, se tromper ») et « errer » (de l'ancien français errer « voyager », lui-même tiré de la racine latine iter « chemin »).

L'homonymie apparaît donc comme un accident contingent, un produit de l'histoire de la langue : elle résulte d'une évolution phonétique et /ou graphique, qui aboutit à faire coïncider la forme (le « signifiant ») de signes distincts provenant de langues différentes ou d'une même langue. La polysémie, elle, semble au contraire constitutive du fonctionnement même du langage : c'est en effet une propriété massivement attestée dans toutes les langues que de pouvoir déployer la signification des mots et des expressions, en la ramifiant et en lui ajoutant des acceptions nouvelles. Cette diversification des emplois et des significations peut se faire à partir d'un « noyau de sens » commun à toutes les acceptions du mot, comme pour le mot « plateau » ; ou bien par extension de sens, comme pour le mot « minute », dont l'acception « court espace de temps » dérive du sens « soixantième partie de l'heure » ; ou encore par simple analogie de sens, comme l'emploi à partir du xviie siècle du terme « lentille » pour désigner une substance réfringente transparente, par analogie avec la forme courbe de la graine comestible appelée « lentille ». Un calcul statistique approximatif sur divers dictionnaires du français fait apparaître que moins de 5 p. 100 des mots y sont traités comme des homonymes, alors que plus de 40 p. 100 y sont décrits comme polysémiques.

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L'homonymie et la polysémie sont toutes deux sources potentielles d'ambiguïté (Catherine Fuchs, Les Ambiguïtés du français, 1996). Il peut arriver qu'un énoncé soit ambigu, du fait de la présence d'une ou plusieurs unités dont la forme ne permet pas de savoir, parmi plusieurs signes homonymes, celui auquel on a affaire : l'énoncé « La malchance a voulu qu'il tombe sur un avocat pourri » renvoie-t-il à « un fruit abîmé » ou à « un juriste corrompu » ? Beaucoup plus courants sont les cas de plurivocité induits par la présence d'unités polysémiques donnant lieu à une pluralité d'interprétations sans qu'il y ait pour autant ambiguïté. Les différentes interprétations sont alors compatibles, et la parenté sémantique entre les différentes acceptions des polysèmes permet de passer en continu de l'une à l'autre : ainsi, « Il dit encore une bêtise » signifie tout à la fois « Une fois de plus il dit une bêtise » et « Il dit une bêtise de plus ».

Les deux phénomènes de l'homonymie et de la polysémie ont reçu des traitements variables dans le cadre des différentes théories linguistiques. Pour la tradition structuraliste héritée de Saussure, si le dogme de l'univocité du lien entre le « signifiant » et le « signifié » en langue n'est pas remis en cause par l'homonymie (puisqu'il s'agit de signes distincts), il risque en revanche de l'être par la polysémie – sauf à dénier au signe la possibilité même d'être polysémique, en postulant qu'il a toujours un signifié unique en langue. Dans le même esprit, la « psychomécanique » de Gustave Guillaume aborde la polysémie en termes d'un unique « signifié de puissance » en langue, à partir duquel se déploie une diversité d'« effets de sens » en discours ; s'inspirant de cette approche, des études lexicologiques approfondies ont été conduites sur le français par Jacqueline Picoche (Structures sémantiques du lexique français, 1986). D'autres héritiers du structuralisme, comme Bernard Pottier ou François Rastier, recourant à la « sémantique componentielle », caractérisent une unité polysémique comme associée à plusieurs « sémèmes » (ensembles de « sèmes » ou traits distinctifs) possédant au moins un sème commun –, par opposition aux homonymes dont les sémèmes correspondants ont une intersection vide.

Parmi les théories poststructuralistes, certaines, comme la grammaire générative de Noam Chomsky et les autres syntaxes formelles, ont privilégié un traitement « homonymique » pour la description de structures de phrases structurellement ambiguës. D'autres théories, notamment la théorie des opérations énonciatives d'Antoine Culioli et la grammaire cognitive de George Lakoff, ont au contraire consacré un nombre important de travaux à des faits de polysémie observés dans des langues diverses, et proposé de nouveaux types de modélisations sémantiques (ainsi Bernard Victorri, dans La Polysémie : construction dynamique du sens, 1996). Pour ces théories, la polysémie apparaît comme un véritable révélateur du fonctionnement sémantique des langues.

— Catherine FUCHS

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