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HOMOSEXUALITÉ

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Normalité contre rébellion

Pour être nouveau, le débat sur l'homosexualité n'en est pas pour autant figé. Et en renouant pour une part avec des débats anciens, les homosexuels vont continuer longtemps à se diviser sur la question de leur place dans la société et de leur meilleure intégration possible : rébellion ou normalité ? C'est autour de cette alternative que s'organise, notamment depuis la fin des années 1960, le débat sur l'homosexualité. Dans une filiation universaliste, une partie du monde homosexuel défend une normalisation avec ce qu'elle implique de concessions et de respect des règles de la civilité ; dans une filiation « Genet », d'autres affirment leur volonté de déstabilisation sociale et de rébellion. Deux figures, pour la France, peuvent résumer l'enjeu du débat. La première est celle de Guy Hocquenghem. En 1972, à vingt-cinq ans, ce produit exemplaire de ce qu'on appellera, dans un raccourci saisissant, « la pensée 68 » (lecteur de Fourier, Reich, Marcuse et bientôt de Deleuze et Foucault), « avoue » publiquement son homosexualité, dans la France pompidolienne, à l'occasion d'une interview fracassante publiée dans Le Nouvel Observateur. Du coup, ce qui devait être un témoignage singulier prend le titre collectif de « révolution des homosexuels ». En faisant ce que, depuis cette époque, on appelle son coming out (rendre publique son homosexualité à son entourage), en racontant sa vie, mélange instable de culpabilité et de révolte – chemin classique vers les utopies révolutionnaires –, Hocquenghem trace la voie d'un combat homosexuel radical.

Devenu écrivain et pamphlétaire de talent, Guy Hocquenghem va s'installer, durant les années 1970, comme le plus célèbre militant homosexuel français. À la tête du Front homosexuel d'action révolutionnaire (groupe radical homosexuel, le F.H.A.R. a été créé en 1971 et a disparu vers 1973), en multipliant les journaux provocants, comme le fameux périodique Tout ! ou le numéro mythique de « Trois Milliards de pervers », Hocquenghem sera aussi l'auteur d'une œuvre radicale déterminante (notamment les ouvrages fondamentaux que sont Le Désir homosexuel, 1972, et La Dérive homosexuelle, 1977).

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Ni identitaire, ni réformateur, ni alors véritablement anti-discriminatoire, le mouvement homosexuel tel que le conçoit Hocquenghem se veut révolutionnaire, refusant l'assignation des homosexuels à une identité, plus foucaldien ou deleuzien que communautaire, plus marqué par les féeries libidineuses de Jean Genet et la thématique de Pasolini que par Montherlant, Julien Green, Marcel Jouhandeau ou même Gide. À travers articles et livres, il exalte une version « anti-norme » de l'homosexuel et combat « la modernité rassurante de l'homosexuel de 35 ans à moustache et à attaché-case, qui respire avec délices l'odeur d'after-shave » de son partenaire.

Jusqu'à sa mort des suites du sida en août 1988, Guy Hocquenghem, devenu tour à tour essayiste et romancier, saura rester fidèle à ses idées malgré la reconversion, après 1981, de la plupart de ses amis gauchistes dans le socialisme de gouvernement (ce dont témoigne encore l'un des pamphlets les plus vifs de Hocquenghem, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary, 1986). C'est son talent d'avoir su anticiper, par le seul récit de sa vie et son identification au mouvement gay, l'ensemble des espoirs – mais aussi des impasses – qui guettent l'homosexuel moderne.

La seconde figure du débat normalité-rébellion s'appelle Jean-Louis Bory. Le parcours solitaire – un peu oublié – de cet infatigable militant de la banalisation du fait homosexuel s'inscrit en ombre croisée de celui de Guy Hocquenghem. Ancien résistant, signataire de l'Appel des 121 durant la guerre d'Algérie, homme de gauche proche du Parti socialiste, écrivain (il a obtenu à vingt-six ans le prix Goncourt), Jean-Louis Bory est, avant tout, critique de cinéma. Utilisant les tribunes dont il dispose, à commencer par l'émission littéraire radiodiffusée « Le Masque et la plume », Bory y défendra avec une rare ténacité un militantisme homosexuel modéré. Pour lui, l'homosexualité devrait être considérée comme banale, sinon comme facile, et tout son combat des années 1970 peut se résumer à trois de ses phrases slogan : « Ni honte, ni prosélytisme », « droit à l'indifférence », « je ne plaide pas, j'informe ».

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L'influence de Jean-Louis Bory se mesure à ce militantisme réformateur dont il va devenir, presque malgré lui, le principal représentant. Il invente une nouvelle voie entre l'homosexualité révolutionnaire aux discours frappés de logorrhée gauchiste, et le militantisme respectable et un peu honteux d'avant 1968. « Il y a une réalité homosexuelle et si je suis là c'est parce que l'homosexualité existe », dira Bory lors de l'émission de télévision « Les Dossiers de l'écran » en 1975. « Je n'avoue pas que je suis homosexuel, parce que je n'en ai pas honte. Je ne proclame pas que je suis homosexuel, parce que je n'en suis pas fier. Je dis que je suis homosexuel, parce que cela est ».

Ambitionnant pour les homosexuels l'égalité et luttant contre les discriminations, Bory se préoccupe surtout de ce qu'il appelle « l'homosexualité du pauvre », ceux qui sont « rejetés par leur famille, méprisés par leurs voisins, licenciés par leur employeur, suspectés quand ce n'est pas éliminés par leur syndicat, malmenés par la police ». Mais il fera les frais d'un engagement par trop personnel : « Je suis monté au front et je reviens couvert de blessures et de décorations », expliquera-t-il peu avant de mettre fin à ses jours, le 11 juin 1979.

L'opposition Hocquenghem-Bory peut donc servir de fil rouge pour comprendre les oppositions au sein du mouvement homosexuel français (et bien au-delà) et, sur cette double lignée – une double filiation aussi – s'inscrit toute l'histoire récente de l'homosexualité en France. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Il y manque la « dépénalisation » de l'homosexualité et les « années de cendre » du sida.

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