HONNEUR
Manifestations de l'honneur
L'honneur est, en effet – et c'est essentiel –, une qualité qui s'acquiert par la naissance ou le mérite (honneur-vertu ou honneur-préséance des anthropologues), mais surtout qui se perd. Elle se perd à partir du moment où le comportement de celui qui est considéré comme homme d'honneur ne répond plus aux critères fixés par le code de la société dans laquelle il vit. Une « dette d'honneur » se doit d'être honorée, un « serment sur l'honneur » d'être respecté. Comment expliquer la prégnance de ces prescriptions ? La question pécuniaire n'est pas en cause ; le parjure non plus, puisque, à partir du moment où l'on jure, on doit ne pas mentir. Quand on en appelle à l'honneur, on en réfère à un certain code social et moral. Celui qui transgresse ce code, après l'avoir évoqué, s'exclut de facto de sa communauté, il s'excommunie et est excommunié.
Selon le code établi, l'honneur se perd généralement par lâcheté, il se regagne par le courage. C'est un paradoxe, mais il est exact de dire que souvent l'honneur se mesure à l'aune de l'affront. Celui qui reçoit un affront risque d'être déshonoré. Encore faut-il pour que le risque existe que l'affront soit explicite – paroles accompagnées de geste (car on peut toujours interpréter les mots), soufflet ou bras d'honneur... ; qu'il soit fait en présence de témoin qui rendent les faits irrémédiables ; qu'il vienne, enfin, d'un égal. Si l'offenseur est un inférieur, l'injure ne peut atteindre celui à qui elle est destinée : « Honni soit qui mal y pense », selon la fière devise des rois d'Angleterre ; si l'offenseur est un supérieur, l'injure ne peut – de fait – être vengée, donc elle ne provoque pas de déshonneur. Un paysan dont la femme a été séduite par un noble ou un notable ne perd pas l'estime des siens, au contraire, parfois.
À partir du moment où l'affront est réel, l'offensé a le devoir de se venger, sinon, il perd sa propre estime et celle des autres. Il doit exiger que l'offenseur lui présente des excuses, mais l'offenseur ne peut les lui présenter sans être taxé de lâcheté et donc de déshonneur. Le combat est donc inévitable : « la lessive d'honneur se lave dans le sang », assure Théophile Gautier.
Les rites de ce combat sont historiquement très anciens. Montesquieu voit « naître et se former les articles particuliers de notre point d'honneur » sous Louis le Pieux : « L'accusateur commençait par déclarer devant le juge qu'un tel avait commis une telle action, et celui-ci répondait qu'il en avait menti. La maxime s'établit que, lorsqu'on avait reçu un démenti, il fallait se battre. »Très rapidement, le juge devint indésirable. Seule la justice privée fut reconnue compétente dans les « affaires d'honneur » ; le ministre des Armées qui, dans les années 1900, révoque un officier pour avoir poursuivi en justice l'homme qui l'avait offensé, alors qu'il devait se battre d'homme à homme, reflète une conception de l'honneur, peu éloignée, somme toute, de la conception des gangsters du milieu qui « lavent leur linge sale en famille ». Curieuse religion qui bannit le pardon des offenses, et fait appel au Jugement de Dieu – le duel est un combat judiciaire, un jugement de Dieu ; étrange usage qui fait de tuer – ou au moins de blesser – un devoir moral.
L'affront non réparé entraîne le déshonneur de celui qui n'y répond pas, mais aussi de sa famille, de son lignage. Lorsque le comte donne un soufflet à don Diègue, outrageant ainsi ce dernier, mais aussi Rodrigue, « à l'honneur de tous deux, il porte un coup mortel ». Dans des cas bien précis – incapacité physique ou[...]
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Écrit par
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Classification
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